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cette femme. L’esprit qui la possédait la faisait marcher pieds nus, par le fort de l’hiver, sur une neige glacée, sans qu’elle parût en souffrir ; elle disait qu’elle retournait à Jérusalem, d’où elle prétendait être venue. Elle séduisit un ancien, simple et grossier, et aussi un diacre, qui, nous dit-on, eurent commerce avec elle, comme on le découvrit plus tard. Mais enfin il se trouva un exorciste, qui, encouragé par des frères restés fermes dans la foi, osa se lever et tenir tête à l’esprit mauvais. Celui-ci, par une ruse perfide, l’avait annoncé comme un ennemi qui allait venir et un tentateur infidèle. Mais l’exorciste ne se laissa pas troubler et fit voir que le prétendu Esprit saint n’était que malice et perversité.

Cependant cette femme, au temps où on se laissait séduire à ses mensonges, se permettait de consacrer le pain et de distribuer l’eucharistie ; elle offrait le sacrifice avec les paroles solennelles, et enfin elle baptisait en observant toutes les formes. Firmilianus, ironiquement, demande si Stéphanus tiendra ce baptême pour valable, et voilà par où l’histoire qu’il raconte se rattache au sujet traité dans sa lettre.

Mais, pris en lui-même, l’épisode est des plus curieux, et cette page nous fait voir de la manière la plus vive l’état de fièvre et de délire où les églises chrétiennes vivaient alors. Quelle espérance, quelle menace, quel rêve pouvait étonner ceux qu’un personnage tel que cette femme n’étonnait pas ?


IV. — CYPRIEN ÉCRIVAIN.

Il me reste à considérer Cyprien sous un point de vue auquel j’ai à peine eu le temps de penser jusqu’ici, celui de son talent d’écrivain et de l’art de sa parole. Cyprien, avant d’être chrétien, était un rhéteur. Avait-il déjà composé alors quelques écrits ? Nous l’ignorons, et il n’en subsiste aucune trace ; mais devenu chrétien, il composa un discours, dont je n’ai pas eu l’occasion de parler encore et qui est tout à fait à part dans ses œuvres, précisément parce qu’on y retrouve le rhéteur : c’est le discours à Donatus. Il y développe la transformation qui se fait dans l’homme qui a reçu le baptême par les miracles que la grâce divine opère en lui, et, par suite, la transformation plus générale que le christianisme est en train de faire dans l’humanité : rien de plus sérieux que ce sujet, mais l’écrivain n’est pas tout entier à son sujet ; il est aussi très préoccupé de bien écrire, c’est-à-dire d’écrire avec tous les ornemens et toutes les recherches que poursuivait alors l’éloquence profane, d’autant plus curieuse des élégances de la forme, que trop souvent le fond lui manquait et qu’elle n’apportait rien à ses auditeurs qui les touchât.