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les yeux du chrétien et dans tous ses sens et prête ainsi une force presque irrésistible aux menaces et aux promesses. Cyprien ne peut présenter à ceux qui l’écoutent que l’avenir, un avenir reculé dans le lointain de l’imagination et trop aisément enveloppé des ombres du doute. Quelle ardeur de foi n’a-t-il pas fallu pour en parler avec cette confiance et avec un tel accent de persuasion que nous concevons encore aujourd’hui, si nous ne le ressentons plus, l’effet qu’il a produit sur les âmes ! Ceux-là seulement peut-être croient ainsi qu’on égorge pour leurs croyances.

Cependant à travers les images consolantes par lesquelles l’orateur achève son discours, nous ne pouvons nous empêcher d’apercevoir la séparation réelle et définitive que le dogme nouveau mettait entre les hommes pour tout le temps qu’il devait durer. Le dogme est inflexible, et ce n’est pas Cyprien qui penserait à le faire fléchir. Pour lui les infidèles, s’ils demeurent infidèles, sont à jamais maudits, à jamais perdus. Il a bien soin de nous dire que quand nous appelons Dieu notre Père, c’est qu’il est le nôtre à nous seuls, non celui de ceux qui ne croient pas (de Orat., 10). Il dit même ailleurs : « Il est notre Dieu, non le Dieu de tous, mais celui des croyans et des fidèles (de Patient., 23). » Et même quand l’église a étendu sa domination sur tout un monde, elle n’en a pas moins continué de diviser ce monde en deux parts bien inégales : les élus et les réprouvés. L’intolérance est déjà ici dans tout ce qu’elle a d’impitoyable, et comment ce germe funeste, enfermé dans la foi, ne se serait-il pas développé sous l’influence malsaine des persécutions ? Elles en sont la véritable origine, et cela devrait suffire pour les faire détester de tous.

Ces deux discours, avec ceux des Tombés et de l’Unité de l’église, sont historiquement les plus intéressans qu’il y ait dans les œuvres de Cyprien. La plupart des autres sont remplis par des lieux-communs d’éloquence religieuse. Cependant le discours sur la toilette des Vierges (de Habilu virginum) présente, comme les livres de Tertullien qu’il rappelle[1], de curieux détails de mœurs. Les vierges étaient déjà, aux yeux de l’église, ce que seront plus tard les religieuses. On le voit à la sévérité de l’orateur, qui leur interdit toute parure, le luxe des étoiles, celui des bijoux, les recherches de la coiffure, et condamne surtout, avec une singulière véhémence, toute espèce de fard et aussi l’altération de la couleur des cheveux.

Mais on voit également qu’il y avait loin de l’austérité de ces conseils aux tolérances de l’usage, tolérances qui quelquefois

  1. Du Voile des vierges et de la Parure des femmes.