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en effet elle a recommencé quelques années plus tard. Mais en même temps la hardiesse du langage témoigne aussi que le pouvoir est faible et chancelant, et qu’il lui est plus facile de faire souffrir ses adversaires que de les contenir et de s’en faire respecter. Cette hardiesse, il est vrai, n’était pas nouvelle, et déjà Tertullien, en Afrique même, le prenait sur un ton bien haut avec les persécuteurs. C’est qu’après tout les chrétiens, dans leurs invectives, ne parlaient pas précisément à l’autorité, près de laquelle ils n’avaient pas accès, et qui ne daignait sans doute pas les lire ; ils parlaient à un public qui n’avait plus déjà grande foi ni grand dévoûment pour ses maîtres et ne se scandalisait pas trop de les voir braver. Et s’il en était déjà ainsi au commencement du siècle, combien la puissance impériale était tombée plus bas encore au moment où Cyprien écrivait ! Au lendemain même de la persécution, ce Décius qui l’avait faite avait perdu contre les Goths une bataille où il avait été tué avec son fils, et son successeur avait conclu avec les barbares une paix honteuse. Il est tout simple que Cyprien s’écrie que son Dieu est toujours prêt à venger les siens, et qu’il vient de le faire voir tout à l’heure même, où sa vengeance a suivi de si près l’attentat, et frappé des coups si terribles. Les affaires ruinées, les finances perdues, tant d’hommes tués et des armées qui s’effondrent, il ne va pas jusqu’à déclarer que les chrétiens ont vu tout cela avec joie, mais il ose bien dire qu’ils l’ont vu avec sang-froid. A ceux qui objectent que cela n’a pas été fait pour venger les chrétiens, puisque les chrétiens en souffrent eux-mêmes, il répond qu’ils n’en souffrent guère ; qu’ils ne se soucient pas du présent, étant tout entiers à l’avenir, de sorte que rien de ce qui peut arriver de fâcheux ne leur fait peine :


Mes amis, dit le solitaire,
Les choses d’ici-bas ne me regardent plus.
(LA FONTAINE, Fables, VII, 3.)


Quand nous lisons de pareils passages, ne comprenons-nous pas un peu l’exaspération de ceux que ce présent touchait davantage et qui sentaient encore, au fond de leur cœur, quelque attache pour Rome et le nom romain, et nous étonnerons-nous que l’empire n’ait pu s’entendre avec l’église ?

Cyprien compte si bien sur Dieu qu’il va jusqu’à expliquer par cette confiance la résignation avec laquelle les persécutés se laissent tourmenter. Nous sommes nombreux, dit-il, nous pourrions résister à la violence, mais nous sommes patiens, parce que nous sommes sûrs du lendemain. Il exagérait, sans doute, et les