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l’écriture qu’à l’approche de la fin du monde, toutes les calamités se déchaîneraient sur les hommes : eh bien ! ces calamités, les voilà, guerres, désastres, pestes ; la fin est donc proche, et ce qui reste à ce monde à durer encore ne vaut pas la peine d’y demeurer. D’autant que plus on y demeure, plus on se rapproche du dernier terme, c’est-à-dire des dernières angoisses au milieu desquelles tout va s’abîmer.

On raisonne encore, même quand on souffre ; on raisonnait autour de Cyprien, et on demandait comment Dieu, avec ses fléaux, frappait sur ses fidèles aussi bien que sur ses ennemis. La réponse banale que Dieu remet à plus tard sa justice ne le contente pas sans doute ; il en a une autre, qui console les siens en caressant leur orgueil ; c’est qu’ils sont des élus, et les autres des réprouvés ; que ceux-ci, après la mort, n’ont rien à attendre que la mort même ; que le coup qui les frappe leur fait tout perdre, tandis que le chrétien n’a qu’à gagner.

Parmi ces misères, dont la mort va l’affranchir, il en est une qui revient sans cesse dans le discours, parce que sans cesse elle pesait, en effet, sur les imaginations troublées ; c’est la menace de la persécution toujours suspendue. Il la présente d’abord d’une manière délicate et noble : si vous mourez, vous échappez au malheur de renier votre foi. Mais il dit aussi plus fortement et plus crûment : la mort préserve la vierge du déshonneur et des lieux infâmes, et la femme délicate qui redoutait la main du bourreau et les tortures, elle la sauve en la tuant plus vite. Et ceux mêmes que l’épidémie n’a pas atteints, elle leur a cependant profité encore, car, en les familiarisant avec l’idée de la mort, elle les a aguerris pour le martyre.

Mais l’homme est ingénieux à se plaindre, et à donner le change à ses faiblesses, et plusieurs accusaient précisément le fléau, non pas de les tuer, mais de les tuer obscurément et sans honneur, et de leur enlever l’espoir de la mort glorieuse du martyre. C’était peut-être là une illusion que se faisaient les courages, mais l’orateur se hâte de dire que l’honneur du martyre appartient déjà, devant Dieu, à ceux qui sentent de tels regrets, et ce seul discours ne pouvait manquer d’élever les âmes au-dessus des tristesses humiliantes de l’heure présente. On ne peut s’empêcher seulement de remarquer qu’en revenant sans cesse à l’idée de la persécution et de ses épreuves sanglantes, il infirme, sans s’en apercevoir, ce qu’il disait tout à l’heure, que les chrétiens, au milieu de cette désolation publique, devaient être plus calmes et moins inquiets que les gentils.

Le diacre Pontius, dans le récit qu’il a fait de la vie de son