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portunistes et radicaux. Les comités s’organisent, passent la revue des candidatures, préparent leurs listes qui ne sont pas toujours faciles à composer, et sont à la recherche d’un programme. Les réunions se succèdent sur tous les points du territoire et les discours, les manifestes se multiplient. Le grand électeur de l’opportunisme, M. Jules Ferry, qui a déjà évangélisé Lyon, a renouvelé plus librement l’apologie de sa politique à Épinal, et il est aujourd’hui à Bordeaux. M. le ministre de l’intérieur, tout en prétendant que ce n’était pas le moment de s’occuper d’élections, n’a pas laissé d’en parler l’autre jour au Mans, — en complimentant la république d’avoir donné à la France les institutions libres et la préparation militaire ! M. le ministre de l’instruction publique, qui n’est pas le moins avisé des membres du gouvernement, a fait tout récemment, lui aussi, son discours et presque un programme à l’inauguration d’un hôtel de ville à Hallencourt, dans la Somme. M. Clemenceau, qui a été brusquement interrompu dans ses pérégrinations par la maladie, ne tardera pas sans doute à reprendre le cours de ses voyages, et en attendant il envoie ses lieutenans en province. En un mot, le mouvement est engagé, les camps se dessinent, les alliances se forment ou les dissentimens se prononcent. Il y a seulement un fait assez sensible jusque dans la confusion, c’est qu’on est à peine au début, on est encore à plus d’un mois des élections, et il y a déjà dans tout ce mouvement une certaine monotonie fatigante. Tous ces discours se répètent avec une déplorable vulgarité. M. Jules Ferry est peu varié avec ses infatuations et ses vaniteuses apologies, avec ses déclarations qui ne trompent personne sur les succès de sa politique, sur la prospérité des finances, sur la fin de la guerre du Tonkin, — « la plus légitime et la plus nationale de toutes les expéditions ! » M. Clemenceau lui-même n’est rien moins que nouveau dans ses causticités ou dans ses virulences. Tous ces orateurs en voyage manquent d’ampleur et de souffle. Ces programmes qui ont quelquefois l’air d’être contraires reproduisent, à quelques nuances près, les mêmes banalités qui ont traîné partout.

Ce qu’il y a de particulier et de surprenant, c’est qu’en traçant ces programmes des élections et de la prochaine législature, on prétend s’inspirer de l’opinion, exprimer les vœux du pays. Et, en réalité, le pays ne dit rien de tout ce qu’on lui fait dire. Le pays a sans doute l’instinct que, depuis assez longtemps, sa situation n’est pas des meilleures, que ses intérêts souffrent, que tout est incertain et précaire, qu’il y a de toute nécessité, selon le mot récent de M. le ministre de l’instruction publique à Hallencourt, « quelque chose à changer dans la direction qui a été suivie jusqu’ici. » Il le sent ; mais certainement il ne croit à aucun des remèdes qu’on suppose réclamés par lui ; ni à la suppression du sénat, à l’élection des juges, à la séparation de l’église et de l’état des radicaux, ni aux guerres religieuses détournées, aux