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précise dans la préparation d’une affaire, l’énergie de la volonté dans l’exécution, l’art d’obtenir de ses soldats tout ce qu’ils pouvaient donner. Sévère de tenue, exact et inflexible dans le maintien de la discipline, il était en même temps affable avec les hommes, attentif à leurs besoins et à leurs misères, dont il souffrait sous une apparence de calme, qu’il s’efforçait de prévenir ou d’adoucir autant qu’il le pouvait ; c’est ainsi qu’il avait conquis la confiance absolue de tous ceux qui servaient avec lui et qu’il avait inspiré une sympathie mêlée d’une sérieuse estime au pays qui le suivait de loin, qui avait été touché de ses qualités autant que de ses succès.

À cette œuvre multiple et laborieuse dont il est resté chargé pendant deux ans dans les mers de Chine, Courbet s’était épuisé, et sa fin même a pris une sorte de caractère pathétique. La mort est venue pour lui au moment où il touchait au terme de sa rude campagne, où venait d’être signée une paix à laquelle il pouvait se flatter d’avoir contribué. N’exagérons rien, même sur une tombe, n’imitons pas ceux qui prodiguent à tout propos, à l’inauguration de leurs monumens périssables, les mots de génie et de gloire. L’amiral Courbet avait grandement mérité la sérieuse considération dont son nom reste entouré. Depuis la mort de Chanzy, c’est le soldat auquel l’opinion s’est le plus attachée, et s’il y a vraiment quelque chose à regretter, c’est que la politique, la mortelle politique, s’obstine encore à l’appeler à son secours en tirant des archives secrètes de ses amis toutes ces lettres avec lesquelles on n’en a jamais fini. Qu’en peut-on conclure ? L’amiral Courbet jugeait sévèrement, — pas plus sévèrement que l’opinion française elle-même, — la politique suivie au Tonkin, et il l’écrivait. C’est connu ; mais il n’aurait pas été ce qu’il était s’il eût laissé percer ses amertumes dans le service. Les ordres qu’il recevait, il les avait souvent combattus d’avance ; il les exécutait sans murmure, ponctuellement, habilement, dès qu’il les avait reçus, comme s’il les eût approuvés. Libre dans ses lettres intimes, il ne s’affranchissait pas lui-même d’une discipline qu’il exigeait des autres. Il faisait son devoir comme Chanzy faisait son devoir quand il voyait ses conseils méconnus, et ce n’est pas la peine de traîner ces ombres généreuses dans l’arène électorale. Laissons donc ces vaillans soldats qui appartiennent à la France, laissons-les à leur rôle, à leur mission de patriotisme, sans les exposer aux représailles des partis, sans jeter leur nom dans une campagne d’élections qui a son importance sans doute, puisque la destinée du pays est en jeu, mais où s’agitent toutes les médiocrités et les ambitions vulgaires.

Elle est engagée, en effet, plus que jamais engagée, cette campagne électorale qui va décider pour quelques années de la direction politique de la France, et il n’y a plus qu’à en suivre les incidens, les péripéties qui vont se succéder. De toutes parts maintenant la lutte commence à s’animer entre conservateurs et républicains, entre op-