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Les Chinois nous ont donné l’exemple. Depuis que la fatalité des circonstances et des événemens les ont fait entrer eh rapport avec les nations chrétiennes, ils ont senti le besoin d’étudier de plus près ceux qu’ils appellent les fankwei ou les diables étrangers, de se familiariser avec nos idées, avec nos inventions, avec nos méthodes. Ils ont établi à Chang-Hal un office de traductions, dirigé par M. John Fryers, et cet office a déjà traduit en chinois nombre d’ouvrages techniques et de livres de science français, allemands ou anglais. Le ministre des États-Unis à Pékin écrivait, il y a quatre ans, à son gouvernement : « Je savais qu’une école de sciences et un département des traductions faisaient partie du plan général de cette institution ; mais j’étais loin de penser que les travaux de ces traducteurs fussent poussés aussi activement. Il résulte des notes de M. Fryers que le zèle des Chinois employés à ces travaux donne de grandes espérances pour l’avenir[1]. »

La Chine a ses boursiers, qu’elle envoie courir le monde, compléter leurs études en Amérique, à Londres, à Paris ou à Berlin. L’un de ces boursiers, le colonel Tcheng-Ki-Tong, a été un élève fort brillant de notre école des sciences politiques, et il a prouvé, par un livre qui a fait du bruit, qu’on peut être à la fois un très bon Chinois et un Parisien très raffiné. Pourquoi n’aurions-nous pas, nous aussi, nos boursiers chargés de nous enseigner la Chine ? C’est un vœu qu’exprimait un de nos jeunes écrivains, revenu tout récemment des bords de la Rivière-Rouge. Il voudrait qu’on installât à Pékin une école dans le genre de nos écoles de Rome et d’Athènes, que l’état entretînt dans la cour du Nord sept ou huit savans dont l’unique emploi serait d’étudier la civilisation du Céleste-Empire et de nous en faire connaître les résultats et les monumens[2]. » Les renseignemens qu’ils pourraient nous fournir seraient également profitables et à nos politiques et à nos philosophes. La civilisation qui fleurit sur les bords du Fleuve-Jaune et du Fleuve-Bleu n’est pas seulement la plus ancienne du monde, elle est aussi l’une des plus compliquées. Un Chinois disait à un Européen : « Quoi que vous disiez de mon pays, je vous soutiendrai le contraire, et nous aurons tous les deux raison. »

« — Connaissez-vous la patrie du dragon volant et des théières de porcelaine ? Tout le pays est un cabinet de raretés, environné d’une immense et interminable muraille gardée par cent mille sentinelles tartares. C’est une curieuse contrée et un curieux peuple. La nature, avec ses apparitions grêles et contournées, ses fleurs gigantesquement fantasques, ses arbres nains, ses montagnes découpées, ses fruits

  1. Le Monde chinois, par Philippe Daryl. Paris, Hetzel, 1885, page 87.
  2. De Paris au Tonkin, par M. Paul Bourde, correspondant du Temps. Calmann Levy, 1885.