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ordre du général n’est pas exécuté, et un régiment doit battre en retraite, en abandonnant ses blessés, à qui les Chinois coupent la tête devant nos hommes. Enhardis par leur succès, ils attaquent Lang-Son quatre jours plus tard ; ils sont repoussés et battus, sans que la brigade soit obligée de donner tout entière. À quatre heures et demie, une balle met le général de Négrier hors de combat, et le colonel Herbinger, qui prend le commandement, ordonne la retraite immédiate sur le Delta. En vain, le commandant Servières lui représente que deux escadrons de spahis et une batterie sont en route pour le rejoindre, qu’une partie de la première brigade va être envojée à son secours, qu’il y a des munitions à Fo-Vi et à Dong-Song, c’est-à-dire à un et à deux jours de marche. Le commandant offre même de rester seul à Lang-Son avec son bataillon. Le colonel ne veut rien écouter, il donne le signal du départ, tandis que, de leur côté, les Chinois rentraient en Chine. Comme le général de Négrier, il eut sans doute ses raisons, qu’apprécieront ceux qui sont chargés de l’entendre et de le juger.

Après tout, cette fâcheuse mésaventure n’était qu’un incident de guerre. Y a-t-il jamais eu des guerres sans incidens ? S’est-on jamais battu sans faire des fautes, sans les payer et sans être tenu de les réparer ? Cependant Paris s’émeut, Paris s’inquiète et s’agite ; un ministère est renversé. Quelques heures plus tard, on apprend que la Chine offre la paix, et nous en sommes réduits à admirer la sagesse chinoise, qui a décidé qu’il valait mieux traiter à des conditions honorables que de s’obstiner à tenter la fortune. Sans se laisser griser par un succès éphémère et fortuit, elle s’est souvenue des défaites, elle a tenu compte des dangers, elle a considéré que l’amiral Courbet était un adversaire fort incommode, et que, grâce aux mesures qu’il avait prises, le riz n’arrivait plus. Mais il faut convenir qu’il y a eu dans cette histoire un jour au moins où Pékin a été beaucoup plus raisonnable que Paris.

Tant que les Chinois nous ont fait la guerre, nous nous sommes beaucoup occupés d’eux. Nous aurions tort de croire que désormais ils n’auront plus rien à démêler avec nous, qu’il nous est permis de les oublier. Nous avons à débattre, eux et nous, les clauses et les termes d’un traité de commerce, et nos vœux accompagnent à Tien-Tsin l’intelligent sous-directeur de nos affaires étrangères, chargé de suivre cette délicate négociation. Puisse-t-il joindre la prudence cauteleuse d’un vieux mandarin à la souplesse d’esprit et à la sûreté de jugement que lui connaissent ses amis ! Mais nous n’aurons pas seulement des rapports commerciaux à entretenir avec les Chinois. Car nos récentes conquêtes, nous sommes devenus leurs voisins, et il est d’une sagesse élémentaire d’apprendre à connaître ses voisins, de ne pas s’en tenir à leur sujet aux idées de convention, aux à-peu-près.