Que reste-t-il donc à dire de Pascal, au point de vue de l’histoire littéraire ? S’il ne s’agit que d’écrire une Introduction à ses œuvres complètes, il suffit d’y résumer des travaux aujourd’hui classiques. Une courte biographie, où l’on n’affiche aucune prétention d’être neuf, mais exacte et facile à lire ; où l’on ne s’attarde point à discuter dans le détail les opinions qu’on ne partage pas, mais où tout simplement on les passe sous silence ; pas de phrases, pas de paradoxes, aucun étalage d’érudition, mais plutôt un constant et visible souci de dissimuler ce que l’on en possède ; point d’allusions à Confucius, comme chez M. Derome, non plus qu’à Gérard de Nerval, qui s’étonnerait fort d’être nommé dans une biographie de l’auteur des Pensées ; trente ou quarante pages enfin, voilà ce que doit être aujourd’hui une Introduction aux Œuvres de Pascal. Et dans l’édition qu’il nous promet, que nous attendons depuis si longtemps, des Œuvres de Pascal, nous ne jurerons pas, mais nous aimons à croire que c’est ainsi que M. Faugère comprendra son devoir d’éditeur. Maintenant, au lieu d’une Introduction, est-ce un livre que l’on veut écrire ? et après un long examen de ce qu’il reste à dire sur Pascal, ne veut-on toucher qu’à ces quelques points ? La meilleure manière alors sera peut-être de les traiter chacun à part, et chacun pour soi, selon les proportions d’une modeste brochure ou d’un article de Revue. On pourra cependant ne pas se contenter de ces études fragmentaires et vouloir en former un ensemble. En ce cas, on passera rapidement sur ce qui est connu ; on ne répétera pas une fois de plus, et ordinairement pour le dire plus mal, ce qui a été dit, ce qui se trouve partout ; on ne reproduira pas la fameuse tirade de Chateaubriand ; on ne recommencera pas après Victor Cousin d’invectiver Nicole et le duc de Roannez ; on ne fera plus, après Sainte-Beuve, la comparaison de Pascal et de Molière, des Provinciales et du Tartufe ; en deux mots, on ne s’attachera qu’à ce que l’on croit apporter de vraiment nouveau, et en en mesurant le développement à l’importance réelle. C’est une formule ou un plan de composition à trouver. Mais il en faut venir là, si l’on ne veut pas que les questions s’anéantissent bientôt sous le prodigieux entassement des livres ; et qu’ainsi le plus grand écrivain devienne insensiblement la moindre préoccupation du biographe qui le prend pour victime. Je ne dis pas, d’ailleurs, en terminant, que ce plan soit facile à trouver, ni qu’il soit aisé de composer un vrai livre qui réponde à ce programme, — puisqu’après avoir essayé d’en indiquer la nature, je laisse à de plus audacieux et de plus habiles que moi le soin et l’honneur de l’écrire sur Pascal.
F. BRUNETIERE.