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Il y a là des dangers que nous avons plusieurs fois signalés, mais où nous ne craignons pas de revenir encore. L’histoire d’une littérature est toujours à refaire, pour toute espèce de raisons, parce que le jugement d’une génération n’engage pas celui de la suivante, et parce le temps donne aux œuvres qu’il ne détruit pas une signification et une valeur nouvelles ; mais l’histoire littéraire, lentement et par parties, se complète, s’achève et se fixe pour ne plus changer. On pourra donc toujours dire quelque chose de nouveau de Pascal, de ses Provinciales et de ses Pensées ; il y suffira de les avoir lues, de les avoir soi-même revécues avec Pascal, et de le dire comme on l’aura senti. Cela vaudra ce que cela vaudra, selon l’homme et la manière dont il le dira ; ce sera toujours un droit que l’on aura ; et il sera bien difficile que cela ne vaille pas quelque chose, aussi souvent qu’on y mettra plus de sincérité que de littérature. Dans ce genre, pour tâcher de ne rien oublier de récent, je signalerai les pages curieuses que M. Renouvier, dans son deuxième Essai de critique générale, a données sous ce titre : Pascal et la Théorie du vertige moral. Mais, au contraire, il est bien évident que, sur les circonstances de la composition des Provinciales, ou l’effet qu’elles produisirent à leur apparition, comme aussi sur les éditions successives des Pensées, ou sur l’histoire des papiers de Pascal, un jour viendra où l’on aura tout dit.

Je crois précisément que ce jour est venu, qu’il approche du moins, pour les Pensées comme pour les Provinciales, et c’est ce que je me suis efforcé de montrer à l’occasion et aux dépens de M. Ricard, de M. (Nourrisson et de M. Derome. La faute en est à eux sans doute, mais elle en est surtout à leur sujet. L’auteur des Études sur la vie de Bossuet, le respectable M. Floquet, n’était pas mieux instruit de son sujet ni d’ailleurs plus consciencieux que M. Nourrisson ; et M. Derome, assurément, s’il n’a pas plus d’érudition, a plus d’idées, quoique souvent bizarres, que l’auteur de ces huit volumes sur Voltaire et la Société au XVIIIe siècle. Cependant, si nous adressions une critique à l’ouvrage de M. Floquet, ce serait de n’avoir pas été terminé ; et pour celui de M. Desnoiresterres, combien de fois n’avons-nous pas dit l’estime que nous en faisons ? C’est que l’histoire de la vie et des œuvres de Bossuet ou de Voltaire, quand M. Floquet et M. Desnoiresterres s’y mirent, étaient encore des sujets où leurs prédécesseurs avaient laissé beaucoup ou presque tout à dire ; et c’est surtout qu’aucun Victor Cousin, qu’aucun Sainte-Beuve, qu’aucun Vinet, et, — d’une autre manière qu’eux, mais non pas sans talent ni sans profit pour nous, — aucun Faugère ne s’y était appliqué. Il y a une justice ; et il ne faut pas enfin croire que tous ceux qui nous ont précédés aient rempli si médiocrement la tâche qu’ils s’étaient donnée qu’elle soit toujours à reprendre.