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toutes les pensées sur les miracles, « véritable hors-d’œuvre, » n’appartiennent même pas au livre de l’Apologie. Mais celui-là nous assure au contraire qu’il y faut voir le fondement premier de l’argumentation de Pascal. Les uns rejettent hardiment tout ce qui constitue dans les anciennes éditions la première partie du livre et n’y voient, — je cite ici textuellement, — « que quelques fragmens sentimentaux donnés en satisfaction aux besoins du cœur. » Mais les autres, en revanche, dans la seconde partie, ne veulent voir, comme ils disent « que le tribut payé par l’immortel novateur à la science suspecte du moyen âge ou à l’exégèse la plus fantastique. » Et ne s’est-il pas enfin trouvé quelqu’un pour ôter de l’Apologie l’une des rares Pensées dont on osât affirmer qu’elle en faisait partie : « C’est le cœur qui sent Dieu, et non la raison ? » J’aimerais autant qu’il en eût écarté la règle des partis.

Ce que d’ailleurs une telle manière, plus que familière, d’en user avec Pascal, a d’irrévérencieux et même d’insoutenable, y faut-il maintenant appuyer ? Je le ferais, si je ne l’avais fait. Mais sans doute il vaut mieux indiquer deux ou trois points encore obscurs, et chercher ce que l’on pourrait ou ce que l’on devrait faire pour les avoir éclaircis. Telle est d’abord la question tant controversée de la grâce. Si c’est méconnaître ou altérer en effet le caractère des Provinciales que de ne pas rappeler ce que cette question de la grâce y occupe de place, on ne peut rien comprendre et on ne comprend rien aux Pensées, si l’on n’est suffisamment informé de la question de la grâce avant que de les aborder. Nul ne l’a mieux vu que M. Ernest Havet, dans l’Introduction qu’il a mise à son édition scolaire des Provinciales et déjà dans les notes de son édition classique des Pensées. Éditions, introduction et notes, M. Derome a l’air d’en faire si peu d’état que nous sommes impatiens de voir ce qu’il composera sur la même matière. On dit bien là-dessus que cette question même est si vieille aujourd’hui, d’un si mince intérêt pour les hommes de notre temps, si obscure d’ailleurs, et enfin les solutions des théologiens si bizarres, qu’autant vaut la laisser dormir ou s’agiter confusément dans les écoles entre augustiniens et thomistes ou molinistes et congruistes. C’est une bien mauvaise raison, si une certaine doctrine sur la grâce est le fond ou plutôt l’âme même du jansénisme, et elle l’est incontestablement, comme aussi bien des Pensées de Pascal. Rien d’ailleurs n’est plus facile, sans remonter pour cela jusqu’aux Pères, sans sortir de l’histoire de notre littérature, que de trouver, dans Bossuet, par exemple, tout ce qu’il faut connaître du sujet pour une pleine ou suffisante intelligence des Pensées. Non-seulement dans les opuscules que cite M. Ernest Havet, comme le petit Traité du libre arbitre, mais dans l’un de ses ouvrages les plus considérables : la Défense de la tradition et des saints pères, et un peu partout dans ses écrits contre les protestans, Bossuet a touché ou traité la