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Nio, Ios, Stampalie, Égine, faisait sur son passage une opulente récolte de prisonniers. Égine, à elle seule, lui en fournit 6,000. Paros, Anti-Paros, Tine, ne tombèrent qu’après une résistance honorable ; Naxos conserva son duc, mais ce duc se reconnut tributaire de la Porte. Soliman pouvait, à son gré, développer sa flotte, couvrir les chantiers de Constantinople de galères ; grâce à Barberousse, les rameurs ne lui manqueraient pas. L’intrépide corsaire ramenait dans l’arsenal de Stamboul près de 18,000 esclaves.

Observez cependant en passant la prudence de ce vieux croiseur : Barberousse consentait bien à laisser asseoir sur les bancs des galères ottomanes les chrétiens qu’il avait ravis à leurs foyers ; il refusait obstinément de les admettre sur ses propres galères. Les vaisseaux barbaresques ne devaient avoir, suivant lui, pour rameurs que des Turcs : à l’heure du combat, on n’y trouverait que des combattans. Avec 40 galères ainsi équipées, Barberousse se croyait de force à en affronter 80. Les ordres de Soliman pourtant étaient précis : la campagne maritime de 1538 s’ouvrirait avec 150 galères, pas une de moins. Le mois de mai s’écoule : l’arsenal de Constantinople n’est en mesure de livrer que 40 des vaisseaux mis, au commencement de l’hiver, sur les chantiers. Khaïr-ed-din demande à prendre la mer : si on laisse Doria occuper l’Archipel, les arrivages de Syrie et d’Egypte vont infailliblement se trouver compromis. Salih-Reïs doit avoir, à cette heure, quitté Alexandrie, convoyant vers l’entrée du Bosphore 20 vaisseaux marchands : quelle proie pour les chrétiens, s’ils ont seulement l’audace de se porter à la hauteur de Candie ! Les vizirs se montrent insensibles à ce raisonnement : « Le sultan, disent-ils, nous a donné l’ordre de ne laisser sortir la flotte du Bosphore que lorsqu’elle sera au complet ; nous nous garderons bien d’enfreindre ses instructions. — Vous avez raison, répliquait Barberousse, de redouter le déplaisir du sultan ; je n’ai pas, plus que vous, dessein de l’encourir ; je ne puis cependant procurer de gaîté de cœur un triomphe certain à l’ennemi. De quelle utilité me seraient des vaisseaux mal armés, équipés à la hâte ? Pareils navires ne seraient pour moi qu’un embarras. Prenez tout votre temps, achevez à loisir les arméniens en retard ; les 40 galères que vous pouvez dès à présent me livrer, jointes aux 40 vaisseaux que je possède, me suffiront amplement pour commencer les opérations. » Le 7 juin 1538, Barberousse, triomphant des hésitations des vizirs, met enfin à la voile. Au moment où sa flotte défile devant la pointe du sérail, le sultan, de son kiosque dont les fenêtres s’ouvrent sur le Bosphore, compte les bâtimens : « 80 vaisseaux ! Est-ce donc là toute la flotte ? — Seigneur, répondent en se prosternant les vizirs, nous avons dû faire sortir à la hâte les vaisseaux