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que les janissaires sont campés sur les côtes de la Dalmatie et que les vaisseaux chrétiens ont dû se replier devant la marine de Soliman le Grand. A l’exemple de la Sublime-Porte, ce sera des corsaires, qui lui offrent le nolis de leurs vaisseaux, que la péninsule italienne attendra, dans cette conjoncture critique, le salut. Elle ne peut le demander encore aux flottes de Venise : le sénat vénitien ne rompra qu’à la dernière extrémité avec le sultan.

Les marines, constituées comme nous les voyons aujourd’hui, sont de date très récente. Aux luttes prolongées des républiques marchandes, à celles de l’Aragon et de la maison d’Anjou, avait succédé un état de choses en quelque sorte transitoire : l’ère des condottieri eut son pendant sur mer dans le développement prodigieux des arméniens particuliers. La guerre de course devint une industrie. Gênes louait ses vaisseaux à qui pouvait et voulait en payer le fret trois siècles avant que les deux Barberousse envoyassent offrir leurs services au sultan. Le 25 octobre de l’an de grâce 1337, Ayton Doria promettait « servir le roy de France à autant de galées comme le roy voudrait, jusques au nombre de vingt. » Pour chacune, il ne demandait que « 900 florins d’or le mois. » Il y mettrait « un patron, deux comités, deux escrivains un maître sirurgien, 25 arbalestriers, et 180 mariniers pour voguer les avirons ; » les fournirait « de plates, de bacinez, de coliers avenemens, gorgeres de fer et pavars ; » les approvisionnerait « de 6,000 viretons, 300 lances, 500 dards, favars, lances longues, fevres, rouars de fer et tous autres garnemens et armures, selon ce qu’il convient à galée bien armée. » En retour, le roi de France donnerait audit Ayton, pour sa dépense personnelle, « 100 florins de Florence le mois, » et 10 autres florins d’or pour « le maître sirurgien » qu’Ayton amènerait de son pays. Il lui assurerait « la moitié de tous les gains » que les galées feraient sur l’ennemi « en mer et en terre, excepté des châteaux, des cités, des prisonniers et de tous héritages, qui tous seront au roy. » Tel fut encore à bien peu de chose près, le contrat qui lia successivement, à l’état de Gènes d’abord, puis au roi François Ir, et enfin à l’empereur Charles-Quint, le grand condottiere maritime André Doria. Nous verrons ainsi la suprématie navale disputée, pendant près de dix ans, bien moins entre deux empires qu’entre deux corsaires.


V

Après quatorze années d’influence souveraine, d’une influence à laquelle l’empire ottoman devait en partie sa grandeur, Ibrahim le 5 mars 1530, était immolé par le sultan aux soupçons qu’avait habilement fait naître et entretenus dans son esprit la sultane