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Ibrahim fut instruit par ses affidés des hésitations de son maître : il supplia Soliman de lui envoyer Barberousse ; il tenait à toiser lui-même l’homme qu’il allait investir d’une si haute responsabilité. Au mois de décembre 1533, le roi d’Alger partit de Constantinople pour Alep.

Barberousse entrait à cette époque dans sa soixante-huitième année. « Courageux et prudent, dit son biographe, prévoyant à la guerre, dur au travail, constant par-dessus tout dans les revers de fortune, » il portait avec une majesté native l’ample et riche costume des musulmans. Son poil roux, ses sourcils épais, sa structure carrée, que commençait à empâter un embonpoint précoce, donnaient à sa physionomie et à tout l’ensemble de sa personne je ne sais quelle rudesse farouche qui répondait bien à l’idée qu’on pouvait se faire du chef résolu et impitoyable dont le nom seul, crié dans les batailles, mit tant de fois en fuite les vaisseaux chrétiens. Un sourire malicieux et empreint d’une suprême finesse, une élocution facile, révélaient en même temps, sous l’enveloppe du corsaire parvenu, l’habile politique fondateur de l’Odjak d’Alger. À ces traits, qui nous ont été transmis par l’historiographe de Charles-Quint, don Fray Prudencio de Sandoval, on reconnaît sans peine un homme de guerre ; mais cet homme de guerre est-il Barberousse ou Suffren ? Au premier abord, ou serait assez embarrassé de le dire, tant la rapide esquisse conviendrait aussi bien à l’un de ces grands capitaines qu’à l’autre. Malgré son âge avancé, Barberousse supporta fort allègrement les fatigues du voyage de Syrie. Ibrahim, du premier coup d’œil, devina dans ce vieillard alerte l’homme qu’il demandait depuis si longtemps au Prophète. « Nous avons mis la main, écrivit-il au sultan, sur un véritable homme de mer : nommez-le, sans hésiter, pacha, membre du divan et capitaine-général de la flotte. » De retour à Constantinople, Barberousse reçut des mains de Soliman un yatagan, une enseigne impériale et un bâton de justice, symbole du pouvoir absolu que le nouveau commandant en chef allait exercer désormais dans tous les ports et dans toutes les îles relevant de la domination ottomane.

L’arsenal de Constantinople passa soudain d’un état de léthargie à une effervescence dont les habitans du Bosphore n’avaient pas eu depuis bien des siècles le spectacle. Pendant tout l’hiver de l’année 1534, on construisit des vaisseaux. Avant de partir pour la Perse, dont Ibrahim achevait en ce moment la conquête, le sultan put voir 84 galères rassemblées au fond de la Corne d’or. Soliman a signé, le 14 juillet 1533, la paix avec l’Autriche et avec la Hongrie ; l’Italie, exclue de cette heureuse trêve, aura doublement sujet de trembler lorsqu’elle apprendra, vers la fin du printemps de l’année 1537,