d’éclater en Corse : elle fournit à Doria l’occasion de servir sa patrie sans avoir pour cela besoin de se mêler aux intrigues de toute sorte qui la désolaient.
Au mois de juin de l’année 1512, la retraite des Français rend à Gênes son autonomie. Les partis qui tant de fois perdirent la république n’abdiquaient cependant pas encore : entre les Fregosi et les Adorni la lutte séculaire continuait sourdement. Les Génois n’avaient qu’un moyen certain de maintenir par eux-mêmes l’indépendance que les armes étrangères venaient de leur rendre : il fallait qu’ils songeassent sérieusement à rétablir leur marine. A qui confierait-on le commandement des galères que l’état se proposait d’équiper ? De ce choix important dépendait l’avenir de la nouvelle flotte. Fregoso jeta les yeux sur André Doria. André crut devoir décliner cet honneur. « Il n’avait, disait-il, aucune expérience des choses de la mer et se croyait impropre aux fonctions dont on prétendait le charger. » Qu’on vienne nous parler maintenant de vocation ! Voilà le premier homme de mer du siècle qui, à l’âge de quarante-six ans, n’a pas encore reconnu la voie dans laquelle il doit s’illustrer.
D’Estaing comptait quarante-trois ans, Bougainville trente-quatre au moment où ils prirent le parti d’échanger l’uniforme blanc pour le justaucorps bleu. Le roi, sur leur demande, consentit à leur ouvrir l’accès « du grand corps. » Malgré toute leur vaillance, ces deux nobles intrus ne parvinrent jamais à faire oublier complètement leur origine. Les officiers, qui se sentaient si fiers d’avoir, suivant l’expression consacrée, « passé par les grades, » ne pouvaient se résoudre à les considérer comme leurs égaux. « J’avais eu l’honneur, écrivait au ministre, le 16 août 1780, le comte du Chaffault, de vous dire à Versailles que je ne servirais jamais sous les ordres de M. le comte d’Estaing. Aussitôt que j’ai été informé de sa destination pour Cadix et qu’il devait commander tout, connaissance que j’ai eue bien tard, je vous ai rappelé sur-le-champ la profession de foi que j’avais faite verbalement avant de prendre congé de vous. Je dois recevoir, en conséquence, demain la permission que j’ai demandée de me rendre chez moi… Je n’aurai plus l’honneur de vous écrire particulièrement que pour vous remercier de la permission de quitter Brest. »
Nommé capitaine de vaisseau le 15 juin 1703, lorsqu’il était déjà dans l’armée de terre en possession du grade de brigadier, Louis-Antoine de Bougainville, né à Paris le 28 novembre 1729, assistait, dans l’hiver de 1764, à un des bals costumés de l’Opéra. Un masque s’approcha et lui murmura quelques mots à l’oreille : « Tu fais bien l’aimable ici, disait au nouveau capitaine de vaisseau l’importun trouble-fête ; tu ferais moins d’embarras à Brest. » Bougainville, le lendemain, partait pour la Bretagne : il allait promener son uniforme