Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

débuts de Doria furent infiniment moins pénibles que ceux de son futur rival. Noble de naissance, puisque le sang illustre des comtes de Narbonne coulait, par de lointains ancêtres, dans ses veines, l’homme que Charles-Quint s’apprêtait à combler d’honneurs et que Gênes appellerait un jour « le libérateur de la patrie, » n’en était pas moins le fils d’un assez pauvre capitaine de galère. Il rencontra cependant de bonne heure ces appuis naturels dont on apprécierait mieux l’importance si l’on songeait par quels ingrats efforts ceux que le sort a jetés dans la vie dépourvus de tout patronage, se voient obligés d’ouvrir le dur sillon où de plus heureux n’ont eu qu’à laisser germer la semence. La mère de Doria était restée veuve quand son fils était encore en bas âge. Toute sa fortune consistait dans une part de la principauté d’Oneille, fief héréditaire de la famille. Pour garder son rang et assurer l’éducation de l’enfant sur lequel se concentrait sa tendresse, il lui fallut vendre à un parent éloigné, Dominique Doria, des droits dont elle n’eût tiré qu’un insuffisant revenu. Un autre Doria, — Nicole, capitaine des gardes du pape Innocent VIII, — devint, à cet instant critique, le protecteur d’André, à peine âgé de dix-neuf ans. André eut le malheur de perdre sa mère ; Nicole appela près de lui à Rome l’orphelin resté sans direction et sans patrimoine ; il le fit entrer dans les gardes de Sa Sainteté et obtint qu’on lui conférât, peu de temps après, le grade d’officier.

En l’année 1492, Innocent VIII eut pour successeur Alexandre VI : André Doria, désireux de se soustraire aux troubles qui, en ce moment, agitèrent Rome, alla demander du service au duc d’Urbin. La cour du duc était cependant un théâtre trop paisible et trop étroit pour l’ambition qui commençait à s’éveiller dans une âme faite pour les grands desseius ; Doria passa du service du duc d’Urbin à celui du fils de Ferdinand Ier, Alphonse II, duc de Calabre, que la mort de son père appelait en l494 à monter sur le trône de Naples. L’entrée de Charles VIII en Italie trouva le serviteur d’Alphonse II à la tête d’une compagnie de cuirassiers : au milieu de la défection générale, Doria seul resta fidèle au malheur ; il accompagnait Alphonse II quand ce prince, se dérobant aux haines que ses rigueurs avaient suscitées, prit le parti de mettre la mer entre lui et ses ennemis. Arrivé sur le quai de Naples, Doria insistait pour suivre en Sicile le souverain fugitif : « Restez, lui dit Alphonse ; vous méritez un maître plus heureux que moi. »

La prudence politique fut un des traits distinctifs du caractère d’André Doria : il eut toujours soin de se mettre à l’écart dans ces heures périlleuses où les commotions civiles se compliquaient, au grand détriment de l’Italie, de compétitions étrangères. Alphonse en fuite, à qui Doria pouvait-il s’attacher ? Les Français s’appuyaient,