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protection d’un des princes de la côte d’Afrique donnerait à leur coalition une consistance qui la distinguerait fort avantageusement de la tourbe des pirates sans aveu. Ce fut au sultan de Tunis qu’ils songèrent : ils partent à l’instant de Zerbi et vont demander au possesseur de la baie de Carthage un appui auquel leur zèle pour la cause du Prophète leur donne bien évidemment quelques droits. Le sultan de Tunis fit, en effet, aux corsaires dont la réputation était venue jusqu’à lui le meilleur accueil : il leur promit toute sa bienveillance et se contenta d’exiger d’eux pour prix du refuge qu’il leur accordait le cinquième des prises faites sur les infidèles. A dater de ce jour, la fortune des heureux aventuriers alla croissant : les deux Barberousse, — car c’est sous ce nom que l’Europe a connu les fils de Yakoub, — devinrent, en quelques mois, la terreur des chrétiens. Un peu plus tard, lorsque le bruit de ses merveilleuses prouesses eut signalé le plus jeune des deux frères au chef de l’islamisme, ce fervent musulman reçut, pour récompense de son infatigable ardeur, le surnom glorieux et envié de Khaïr-ed-din, — le bien de la religion.

Aroudj est incontestablement le fondateur de la gloire de la famille : il écarta les premiers obstacles et ouvrit la voie à son frère. Aroudj est de la race de ces paladins normands, qui, ne possédant que leur cheval et leurs armes, rêvaient déjà, en quittant le toit paternel, de conquérir un trône. Khaïr-ed-din, — donnons-lui dès à présent ce nom, puisque, sans l’avoir encore acquis, il s’emploie activement à le mériter, — Khaïr-ed-din est sans doute aussi intrépide que son frère ; seulement l’audace chez lui n’exclut pas la prudence. Aroudj se laisse plus facilement emporter par son ambition : il court de gaîté de cœur au-devant du danger et n’est que trop enclin à oublier le fameux proverbe : « De corsaire à corsaire, il n’y a rien à gagner que des barils d’eau. » Aussi le sort l’a-t-il marqué pour une fin prématurée.

Aux premiers jours du printemps, les deux frères ont quitté la baie de Tunis avec trois vaisseaux. Un navire ne tarde pas à être signalé. Est-ce une capture facile que la fortune leur envoie ? Aroudj ne prend pas le temps de s’en assurer ; il met hardiment le cap sur la voile en vue, et que rencontre-t-il ? Le galion de Naples ! Une nef énorme montée par 300 chrétiens. Khaïr-ed-din n’a pas voulu rester en arrière. Il est trop tard pour se laisser intimider par la hauteur des murailles du vaisseau gigantesque, par ses châteaux de poupe et de proue, par ses flancs où sortent de vingt sabords les gueules menaçantes des sacres et des coulevrines. Quand on lit le récit de cet aventureux combat tel que nous l’a transmis l’auteur « des pieux exploits d’Aroudj et de Khaïr-ed-din, fondateurs