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si péniblement acquises à la rapacité des agens de Sélim. Ce sultan, qui mérita le nom de Sélim le Féroce, venait de mettre son frère Korkoud au ban de l’empire. De Négrepont, au lieu de se rendre à Métélin, Aroudj fit route vers l’Égypte : il passa tout l’hiver dans le port d’Alexandrie.

L’époque était singulièrement propice aux corsaires : à quelque vent qu’ils ouvrissent leurs voiles, ils étaient certains de trouver d’excellens terrains de chasse. La Méditerranée se couvrait, dès le mois d’avril, de navires chrétiens, et tout vaisseau que ne protégeait pas le pavillon musulman semblait une légitime aubaine envoyée par le ciel aux vrais croyans. Nulle distinction subtile n’embarrassait la conscience de ces écumeurs de mer. Génois, Vénitiens, Napolitains, Espagnols, leur paraissaient, au même titre, de bonne prise. La seule chose qui les préoccupât, c’était de s’assurer un lieu de dépôt pour le fruit de leurs rapines, un marché pour s’y défaire de leurs esclaves. La côte de Barbarie, sous ce rapport, n’avait pas sa pareille. Depuis la lente décadence des Sarrasins, l’Afrique romaine était retournée peu à peu à l’état sauvage : elle fourmillait de ports abandonnés. La vaste émigration qui suivit la prise de Grenade lui rendit, en quelques années, la sinistre puissance dont de longs troubles intérieurs l’avaient dépouillée : les Maures y affluèrent en masse, apportant sur ce littoral désolé, leur industrie, leur civilisation et leur ardent esprit de vengeance. Deux princes, encore puissans, représentaient, l’un à l’est, l’autre à l’ouest, les antiques dynasties musulmanes : on les nommait le sultan de Tunis et le bey de Tlemcen. D’un autre côté, les Portugais occupaient Ceuta, les Espagnols possédaient Melilla, Mers-el-Kebir, Oran, le pâté de roches sur lequel ils avaient bâti le Penon d’Alger, et Bougie, conquête récente de Pierre de Navarre ; le reste demeurait en proie à qui aurait le courage de le prendre. Aroudj jeta les yeux, pour en faire le centre de ses opérations, sur l’île de Zerbi, île que les Espagnols conquirent en 1432, sous le règne du roi don Alphonse, mais qu’ils ne surent malheureusement pas garder.

Un hasard propice conduisait, en ce moment même, Khizr, le frère d’Aroudj, à Zerbi. Khizr avait suivi l’exemple de son aîné : on le citait déjà parmi les plus hardis coureurs de la mer méditerranéenne. Toute cette famille, issue du pays d’Alexandre, semble avoir apporté en naissant un goût instinctif pour le pillage et une aptitude singulière à braver les hasards des expéditions illicites. Aroudj et Khizr résolurent à l’instant d’unir leurs efforts et d’employer en commun leurs ressources. Ils commençaient à devenir une puissance : ni l’un ni l’autre ne se dissimulaient cependant que la