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Sarrasins et les Normands du IXe siècle, les Turcs et les corsaires barbaresques du xvi e ravageaient impunément chaque année des rivages qu’un effroi général leur abandonnait.

En l’année 1856, à l’issue de cette guerre de Crimée où l’entente fut si profondément cordiale entre deux puissances qui avaient à peine eu le temps de désapprendre à se haïr, l’Angleterre, instinctivement émue du spectacle de notre renaissance maritime, trouva bon de fixer à 303 millions de francs, sans y comprendre 80 millions consacrés au service colonial, le chiffre de son budget naval pour l’année 1857. « On sent à cet effort, observait avec juste raison l’amiral Hamelin, ministre de la marine depuis la mort de M. Ducos, l’importance que l’Angleterre attache à rester la première des puissances maritimes. Aurions-nous par hasard moins d’intérêt à demeurer incontestablement la seconde ? » Non certes ! il ne nous est pas permis, toute puissance continentale que nous sommes, d’abdiquer sur cette mer « où Dieu met ses colères » et les puissances grandissantes leurs ambitions, il ne nous est pas permis d’abdiquer par une parcimonie mal placée le second rang. Qui défendrait nos possessions d’Afrique, qui ferait respecter notre littoral, si notre flotte, découragée par le formidable établissement naval de l’Angleterre, se résignait d’avance à un complet effacement ? Supposons Marseille et Le Havre menacés des malheurs dont la haute sagesse de l’empereur sut, en 1855, préserver Odessa, n’est-ce pas sur notre marine que nous devrions compter pour ramener l’ennemi à des sentimens plus humains ? La possibilité d’infliger de justes représailles ne remplacerait-elle pas avantageusement, dans ce cas, les appels désespérés au droit des gens ? L’amiral Hamelin était donc parfaitement fondé, ce me semble, à prendre acte de la prévoyance des Anglais pour recommander à son souverain une prévoyance analogue. Ce luxe de précautions n’a jamais nui à des amitiés nécessaires ; il les a, au contraire, en mainte circonstance, confirmées. Les Anglais étaient, depuis les grandes guerres du premier empire, en possession d’un immense avantage qu’ils ne devaient pas seulement au nombre de leurs vaisseaux : on les croyait « invincibles sur mer. » Telle fut, il y a trois siècles, la position privilégiée des Turcs, après la bataille de Prévésa, journée plus importante par ses conséquences morales que par ses résultats immédiats.


II

Avec le fils de Sélim Ier, Soliman le Magnifique, un grand règne commence en Turquie. L’époque, d’ailleurs, dans son ensemble est grande : en Angleterre, en France, en Italie, en Espagne, en