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cette « généreuse démocratie, » dont il s’efforce de disputer les bonnes grâces à M. Clemenceau ! De sorte qu’aujourd’hui comme hier, à Lyon comme partout, M. Jules Ferry, au lieu de dissiper les confusions, joue toujours ce jeu équivoque, avec les conservateurs, il parle de gouvernement, de stabilité, il s’élève contre les radicaux, qui sont l’éternel trouble-fête ; avec les radicaux, il parle des réformes qu’on accomplira en sachant les préparer, les mûrir, il traite dédaigneusement les conservateurs. Au demeurant, ce que promet au pays le chef des opportunistes, c’est la continuation de la politique qu’il a suivie au pouvoir, qui a si bien réussi, et, ce qu’il demande, c’est une majorité qui le ramène aux affaires.

De cette campagne qui commence, de ces représentations en province qui vont maintenant se presser, ce qu’on peut conclure de plus certain, c’est que ces partis, opportunistes et radicaux, peuvent bien se renvoyer des responsabilités embarrassantes et se faire la guerre, ils restent au fond solidaires par les idées et par les œuvres. Les uns et les autres, dans des mesures différentes, selon le tempérament des hommes, ont les mêmes illusions, les mêmes arrogances, les mêmes passions, les mêmes aveuglemens. La vérité est que ces républicains de tous les camps, occupés aujourd’hui à reconquérir, à se disputer une opinion inquiète ou découragée, ne peuvent se décider à reconnaître que, s’il y a une situation difficile, ils ont tous contribué à la créer par leurs excitations ou par leurs faiblesses, par l’abus organisé d’une domination de parti ; ils ne sont pas arrivés à savoir qu’on n’accumule pas impunément les fautes, les violences et les imprévoyances dans la vie d’une nation. Ils se figurent encore dégager leur responsabilité par des discours ; mais il reste un juge qui a le dernier mot, et Ce juge, c’est la France maîtresse de ses choix, libre de se prononcer sur une politique qui, au lieu de tout affermir comme elle le disait, laisse la confusion dans les finances, la stagnation dans les intérêts, l’instabilité dans l’état, la défiance dans les esprits.

Autant qu’on en pouvait juger il y a peu de temps encore, cette saison d’été ou d’automne qui s’ouvre pour les parlemens comme pour les gouvernemens semblait n’avoir plus à craindre de ces nuages qui passent quelquefois sur l’Europe, que les augures interrogent avec une inquiétude plus ou moins sincère. Dès qu’il était admis que provisoirement entre Londres et Saint-Pétersbourg on continuait à négocier sur la délimitation de la vallée de Zulficar, que la question d’Égypte ne serait pas de sitôt résolue, il ne restait plus une apparence ou un prétexte de complications prochaines. Les grandes nations du continent pouvaient se promettre le repos dans leurs relations extérieures et prendre le temps de s’occuper de leurs affaires intérieures, de leurs élections qui se préparent. Tout au plus signalait-on à l’horizon quel-