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riens ; mais j’imagine, et M. de La Palisse y suffirait, qu’il vaut encore mieux être plein de bonnes choses. Donner le contraire à entendre est un jeu de dilettante ; libre aux délicats de le jouer ; ils justifient par là et patronnent la joie des grossiers qui se plaisent aux jeux de scène de Crispin ou d’Agathe comme à telles bouffonneries de petit théâtre. Le commun du public, où je comprends beaucoup de gens du bel air, retrouve ici, avec la garantie de la Comédie-Française, doublée de celle des plus fins critiques, la pièce à quiproquos et travestissemens à laquelle M. José Dupuis et Mme Judic l’ont habitué : quelle aubaine ! À l’improviste, et justement peut-être où il craignait quelque chose qui fût au-dessus de son intelligence et de son goût, il rencontre son plaisir ordinaire, et des experts lui jurent que, cette fois, ce plaisir est noble. Si, d’ailleurs, il l’y rencontre, c’est à la condition seulement que les comédiens soient bons, de la même manière qu’ils le sont au Palais-Royal et aux Variétés : « Il les faut espiègles, alertes, vifs pour ces artifices de scènes où il ne peut y avoir de naturel que leur talent. » Qui parle ainsi ? M. Désiré Nisard, le seul peut-être parmi les grands juges qui soit demeuré incorruptible aux séductions de Regnard : n’est-il pas celui qui le plus difficilement abdique les droits de la raison ? Et si quelqu’un doutait de la justice de son arrêt sur ce point, je lui rappellerais que M. Coquelin et Mlle Marsy en ont fait récemment l’épreuve et la contre-épreuve. Donc, représentés par certains artistes, les ouvrages de Regnard agréent au gros des spectateurs par les mêmes raisons pour lesquelles tant de vaudevilles éphémères lui agréent ; d’autre part, quelques raffinés exagèrent, par élégance de paradoxe, le bienfait qu’ils en reçoivent : ayant désigné ces deux classes, je crains que, de tous les fanatiques auxquels Regnard, cette année, a tant arraché de cris, je n’en aie omis aucun.

Aussi bien je n’ai garde d’oublier le meilleur titre de Regnard à la faveur de ces enthousiastes, au moins des cultivés, — car, pour les autres, ce titre-ci est de luxe : — je veux parler de son style Et si j’insiste peu sur ce mérite, ce n’est pas pour le diminuer, au contraire : c’est parce qu’ici j’accorde immédiatement tout ce que le défenseur demande, ou presque tout. Le vers de Regnard est souvent négligé, à ce point que « réserve » y rime avec « grève ; » il est souvent faible et plat ; mais toujours il est facile, et que de fois d’une belle venue, d’un seul jet ! Que de fois il est parfait, avec les grâces de l’abandon ! Que de fois preste et leste ! En combien de passages aussi est-il plein, solide sans dureté, brillant et sonore ! Mais surtout la langue en est bonne : réserve faite, ici encore, pour les négligences, je conçois qu’aujourd’hui, après les abus de la poésie romantique, des lettrés goûtent particulièrement celle-ci, où chaque mot a tout son sens et n’en a point d’autre. C’est par la langue, oui certes, que Regnard est