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sur la rive droite, quand MM. Coquelin frères nous rendront cette pièce : car il est de toute nécessité qu’ils nous la rendent ? Mais ce n’est pas si longtemps que nous attendrons, après le Légataire, cet autre chef-d’œuvre, les Folies amoureuses : il piaffe déjà, celui-ci, dans la coulisse. Quelques poils à lustrer, quelques pompons à rafraîchir, et voici qu’on laissera s’échapper sur la scène, tout bondissant, caracolant, éclatant de jeunesse et de santé, ce poulain de race française ! Les quelques dégoûtés qui se renfrognaient au Légataire vont se dérider ici ; plus de prétexte à leur méchante humeur ; quoi de plus pimpant, de plus sémillant, de plus aimablement fou que ces Folies amoureuses ? Les semaines, cependant, et les mois s’écoulent ; apparemment, pour cette œuvre parfaite, il faut que les comédiens atteignent à la perfection. Tandis que la Comédie-Française travaille, l’Odéon, cet improvisateur, hasarde encore sa reprise ; mais qu’importe l’Odéon ? Qu’importe la gentillesse de Mlle Real, qui fait Agathe, ou l’animation de Mlle Boyer, qui fait Lisette ? Qu’importe un Amaury, toujours au pied levé sur la brèche, un Kéraval, un Barral ? Ce n’est point à ces gens-là que nous avons affaire, à ces desservans de province qui expédient des messes à bon marché pour le repos des classiques. La paroisse des connaisseurs est rue de Richelieu ; c’est là que nous guettons le Te Deum ; exiger de nous, par les préparatifs qu’on y fait, quelque surcroît de patience, n’est que nous donner le temps de nous faire à nous-mêmes de plus belles promesses.

Hélas ! elle s’est produite enfin, vers la mi-juillet, cette solennité si joyeuse ou qui devait l’être, et si longtemps à l’avance et si glorieusement carillonnée !.. Où l’on devait exulter, on s’est morfondu. On n’a guère ri à ces folies plus qu’on n’aurait fait à des sottises ; et, plutôt qu’amoureuses, on les a trouvées froides. N’allez pas croire pourtant qu’on s’en soit pris à elles, ou du moins à soi-même et pour s’être fait d’elles une trop merveilleuse idée. Une pauvre comédienne était là, Mlle Marsy, qui, sans doute, à écouter pendant une saison entière les voix de Paris, s’était trop persuadée de l’important avantage qu’il y aurait pour elle à officier dans le temple de Molière en l’honneur de Regnard : — ce sont deux puissans dieux ! — Elle montrait dans son jeu trop d’apprêt et d’application : elle paraissait tenir Agathe pour une figure de haute comédie ; elle la raidissait et lui donnait un port presque noble jusqu’en ses gambades ; elle la retenait presque à la terre, au lieu de la laisser légère et dansante ; au moins réglait-elle évidemment ses pas au lieu de feindre que ses entrechats fussent abandonnés à l’aventure. Et de même elle faisait sentir l’artifice de sa diction ; au l’eu de pousser toutes les drôleries de son rôle comme au petit bonheur, elle les articulait avec la science manifeste qui eût convenu peut-être aux périodes de Célimène. Elle avait, d’ailleurs, belle prestance, fier et fin visage, bonne voix de comédienne, grand air d’intelligence, encore