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qu’il représente d’une manière symbolique assez saisissante la Chine à ces funérailles.

La cérémonie religieuse est courte et se fait à voix basse. De minute en minute on entend, plus ou moins dans le lointain, des salves de mousqueterie venues de l’escadre ou des forts de Ma-Kung ; elles partent de différens côtés, avec un bruit sec de chose qui se déchire.

Dans les intervalles de silence, il y a un tout petit oiseau qui chante obstinément, accroché à une drisse de pavillon. Les timoniers s’excusent de sa présence : il est là depuis hier, et on a beau le chasser, secouer cette drisse, il revient toujours.

Tout près des assistans, les canons du Bayard commencent à grands coups sourds le salut final, et ensuite l’amiral Lespès, qui a pris depuis hier le commandement de l’escadre, vient dire, en quelques mots, adieu à notre chef mort.

Il le fait avec un tel tremblement de douleur et un si visible besoin de pleurer, qu’en l’entendant les larmes viennent. Ceux qui se raidissaient à grand effort pour garder une figure impassible, s’amollissent et pleurent...


Et maintenant, après cet adieu, il n’y a plus que le défilé militaire, et c’est absolument terminé; on se retire, on se disperse dans les canots; les vergues sont redressées et les pavillons rehissés partout. Les choses rentrent dans l’ordre, reprennent leur physionomie habituelle ; le soleil aussi se met à reparaître. C’est la fin du deuil, presque le commencement de l’oubli...


Je n’avais encore jamais vu des matelots pleurer sous les armes, — et ils pleuraient silencieusement, tous ceux du piquet d’honneur.

Elle était bien modeste, cette petite chapelle ; bien modeste aussi, ce petit drap noir; et quand le corps de cet amiral reviendra en France, on déploiera, c’est certain, une pompe infiniment plus brillante qu’ici, dans cette baie d’exil.

Mais qu’est-ce qu’on pourra lui faire, qu’est-ce qu’on pourra inventer pour lui qui soit plus beau et plus rare que ces larmes?..


JULIEN VIAUD.


(PIERRE LOTI.)