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UN DÉPARTEMENT FRANÇAIS.
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grâce. Vous avez suffisamment montré vos muscles et soulevé des poids de cent kilo?. Une petite vie tranquille vous conviendrait davantage. Gouvernez maintenant pour tout le monde. — Mais les républicains de vieille roche sont plus sourds que le marbre et restent figés dans leur attitude héroïque.

Ceux du lendemain ont un autre défaut : ils sont si quinteux avec le gouvernement de leur choix, qu’on aimerait les voir dans l’opposition. Peut-être alors seraient-ils au moins polis. L’un d’eux prend à part son préfet et lui dit : Faites pour nous ce que l’empire faisait pour les siens. C’était le bon temps alors. Les fonctionnaires ne visitaient que les communes dévouées. Toutes les subventions passaient par les mains du député. L’administration ne travaillait que pour lui... En public, on n’ose pas professer ouvertement cette doctrine. Mais elle prend une autre forme. La politique a tant de ressources! Une grande conférence se tient à la préfecture. Toutes les fortes têtes du parti sont là : députés et conseillers généraux. Le préfet les a réunis avec intention, espérant neutraliser l’un par l’autre et comptant sur une sorte de pudeur pour éviter les grosses exigences. Le doyen prend la parole : « Nous ne voulons pas, dit-il, de candidature officielle. Justice égale pour tous, c’est notre devise. Mais les faveurs du gouvernement doivent être réservées à ses amis. » Admirable distinction, digne des casuistes les plus subtils. On n’empiète pas sur le libre arbitre de l’électeur, mais on l’attire par la suavité prévenante et la délectât ion victorieuse : ce sont termes de théologie. Car enfin, où finit la justice? où commence la faveur? la subvention que vous sollicitez pour la construction d’une école est donc une faveur? C’est faire la charité avec la bourse d’autrui. Et s’il s’agit de palmes académiques, de Mérite agricole, de Légion d’honneur ou de bureaux de tabac, vous avouez donc que l’équité est le moindre de vos soucis ?

Nous n’examinons point ici comment un gouvernement peut résister aux entraînemens de parti, se tenir en communication étroite avec la nation, profiter des rares momens où tout un peuple s’unit dans une même pensée. Nous n’avons pas la prétention de lui enseigner à discerner la véritable opinion publique de la fausse, ni à sauvegarder le patrimoine que lui ont transmis ses devanciers, c’est-à-dire l’ensemble imposant de nos lois civiles et de nos traditions administratives. S’il a pour lui la possession, s’il occupe dans le pays une position centrale qui lui permet de s’appuyer sur tous les intérêts et non sur des coteries, il faut convenir que l’hostilité systématique des minorités bruyantes lui crée de singulières diffi-