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funèbres, il mourut. Dans le même mois, sa femme le suivit au tombeau et Zoïtsa resta seule avec Yani dans la petite maison de la rue d’Éole.

Pendant l’hiver qui suivit le départ des bonnes gens, la même existence douce et monotone qu’ils avaient menée jusque-là assura le tranquille bonheur de ceux qui, mari et femme devant le prêtre, restaient néanmoins frère et sœur devant Dieu, et la pure flamme de la kandili[1] qui brûlait nuit et jour sous l’image de la Panaghia, suspendue au chevet du lit de Zoïtsa, n’était pas plus chaste que l’amour de ces deux enfans.

Yani, devenu maître de maison et riche propriétaire, ne voulut point pour cela se croiser les bras, seulement il renonça à ses courses vagabondes dans la montagne, et les nymphes qui habitent les fontaines de l’Hymette ne s’enfuirent plus effarouchées à la vue d’un visage bronzé s’interposant tout à coup entre le cristal de leur onde et la splendeur d’un ciel sans nuages. Grâce à ce génie du commerce, particulier aux Grecs, la fortune de Zoïtsa s’accrut encore entre les mains de son mari.

Toutes les chances de bonheur étaient donc réunies à ce foyer. Zoïtsa se trouvait la plus heureuse femme de l’Attique, et Yani ouvrait son cœur à toutes les espérances en comptant les mois qui le séparaient encore du mnémosynon[2] ; on devait le célébrer au commencement de l’hiver pour le repos de l’âme du vieux patriote et de sa femme. Résolu de dégager ce jour-là sa parole après l’avoir tenue loyalement, il voulait, une fois quitte envers ses bienfaiteurs, ne plus rien promettre désormais que de vouer un éternel amour à celle qui serait alors sa femme, sa chère Zoïtsa.

Hélas ! c’est surtout au moment d’entrer dans le port que les marins doivent faire vigilance ; combien se sont noyés qui voyaient déjà les feux de leurs maisons !

Un matin, les deux jeunes gens partirent de bonne heure pour faire une promenade dans la campagne. Ils suivirent d’abord la route qui mène au village de Képhissia, puis, inclinant vers la droite après avoir atteint les dernières maisons du faubourg d’Hissia, un sentier poudreux, tracé par les troupeaux dans la plaine, les conduisit au bord de l’Ilissus. Quelques pierres jetées par Yani dans le courant firent un gué ; mais Zoïtsa tenait déjà dans ses mains ses tsarouchia de cuir de Russie, cette bizarre chaussure nationale semblable à nos anciens souliers à la poulaine et dont les pointes sont ornées d’un pompon de soie rouge. Elle eut un plaisir d’enfant à

  1. Petite veilleuse suspendue devant les images des saints.
  2. Service de bout de l’an.