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fait entourer de ses confrères ; il leur raconte comment il n’a point perdu le cerf de meute ; l’heure presse, il achève de leur parler des abois et de la curée et il court s’asseoir avec les autres pour juger.» Ce magistrat chasseur, suivant les clefs, serait le président Le Coigneux, qui aimait beaucoup la chasse; il avait un gros équipage à sa terre de Morfontaine, où il allait quand le palais le permettait. A côté du magistrat chasseur, La Bruyère nous décrit le magistrat petit-maître, dont l’original n’est pas non plus douteux. C’est le président de Mesmes. Voici la peinture de La Bruyère : « Il y a un certain nombre de jeunes magistrats que les grands biens et les plaisirs ont associés à quelques-uns de ceux que l’on nomme les petits-maîtres.... Ils prennent de la cour ce qu’elle a de pire: la vanité, la mollesse, l’intempérance, le libertinage... Copies fidèles de très mauvais originaux. » Le jeune président de Mesmes, âgé de vingt-sept ans, nommé par les clefs, répond très bien à ce portrait, s’il faut en croire Saint-Simon, qui semble reproduire trait pour trait sur lui en particulier ce que La Bruyère dit en général : « Toute son étude fut celle du grand monde, à qui il plut et fut mêlé dans les meilleures compagnies de la cour, et des plus gaillardes. D’ailleurs il n’apprit rien et fut extrêmement débauché... Devenu président, il ne changea guère de vie... Grand brocanteur et panier percé... C’en est assez sur ce magistrat, qui, à toute force, voulait être homme de qualité et de cour, et qui se faisait souvent moquer de lui. » De tels travers ne doivent être considérés, sans doute, que comme une exception dont on peut trouver des exemples dans tous les temps. Mais que dirions-nous, aujourd’hui, d’un président de vingt-sept ans ? En regard du magistrat petit-maître se place le magistrat hypocrite, dont la fausse humilité cache l’orgueil et la bassesse : « C’est pure hypocrisie, dit La Bruyère, à un nom d’une certaine élévation de ne pas prendre d’abord le rang qui lui est dû, et que tout le monde lui cède... Il ne lui coûte rien d’être modeste, de se mêler dans la multitude qui va s’ouvrir pour lui... La modestie est plus amère aux gens d’une condition ordinaire. » Saint-Simon, dans le portrait qu’il nous donne d’Achille de Harlay, semble encore ici servir de preuve et de confirmation à l’allusion de La Bruyère : « Issu de ces grands magistrats, dit-il, Harlay en eut toute la gravité, qu’il outra en cynique, en affecta le désintéressement et la modestie, qu’il déshonora l’un par la conduite, l’autre par un orgueil raffiné, mais extrême, qui, malgré lui, sautait aux yeux.. Il se tenait et marchait un peu courbé, avec un faux air plus humble que modeste, et rasait toujours les murailles pour se faire faire place avec plus de bruit et n’avançait qu’à force de révérences respectueuses, et comme honteux,