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sauraient se passer d’une certaine espèce de courtisans, flatteurs, complaisans, insinuans, dévoués aux femmes... Ils font les modes, raffinent sur le luxe et les dépenses... Il n’y a sorte de volupté qu’ils n’essaient... Dédaigneux et fiers, ils n’abordent plus leurs pareils, ils ne les saluent plus... Ils ont l’oreille des plus grands princes, ne sortent pas du Louvre et du château, où ils agissent comme chez eux,.. personnes commodes, agréables, riches, qui prêtent et qui sont sans conséquence. » Si l’on compare ce portrait à celui que Saint-Simon nous donne de Lenglée, on verra qu’ils se rapportent trait pour trait. « C’était un homme de rien, dont le père s’était enrichi... Il sut prêter de bonne grâce... Il fut des plus grosses parties du roi au temps de ses maîtresses... et il se trouva insensiblement de tous les voyages, de toutes les fêtes, lié avec toutes les maîtresses et avec toutes les filles du roi... fort bien avec les princes du sang... Il s’était rendu maître des modes, des fêtes, des goûts. » N’est-ce pas là le même homme ? D’ailleurs un trait particulièrement caractéristique se retrouve de part et d’autre. La Bruyère, parlant du commerce de ce genre de courtisans avec les femmes, ajoute : « Il leur souffle dans l’oreille des grossièretés. » Saint-Simon dit de son côté : « Il leur disait des ordures horribles. Quand il mourut, le monde y perdit du feu, des fêtes, des modes, et les femmes beaucoup d’ordures. » Il semble encore que Saint-Simon répète La Bruyère, et lui répond. Celui-ci avait dit que « les cours ne pouvaient se passer de cette espèce de courtisans. » Saint-Simon n’avait-il pas cette pensée en tête lorsqu’il écrit : « Une espèce comme celle-là dans une cour y est assez bien ; pour deux, ce serait beaucoup trop? »

Le courtisan orgueilleux décrit par La Bruyère a probablement pour original l’évêque de Noyon, Clermont-Tonnerre. A une époque où la fierté de la noblesse était chose commune, car La Bruyère l’avait raillée plus d’une fois, Clermont-Tonnerre s’était fait une réputation particulière d’orgueil et d’insolence, et il s’était formé une sorte de légende de ses traits de présomption, comme des distractions de Brancas. Il faut que le travers ait été poussé bien loin pour que Saint-Simon, si infatué lui-même des privilèges de la naissance, en ait été scandalisé. Voici d’abord le portrait tel qu’il est dans La Bruyère : « Un homme de la cour qui n’a pas un assez beau nom doit l’ensevelir sous un meilleur; mais s’il l’a tel qu’il ose le porter, il doit insinuer qu’il est de tous les noms le plus illustre ; il doit tenir aux princes lorrains, aux Rohan, aux Montmorency, et, s’il se peut, aux princes du sang ;.. faire entrer dans toutes les conversations ses aïeux paternels et maternels, et y trouver place pour l’oriflamme et pour les croisades, avoir des salles parées d’arbres généalogiques ; se piquer d’avoir un ancien château