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mystérieuses où ses eaux se dérobent, toute cette campagne pittoresque présentait accumulée dans un court espace cette profusion d’accidens et de sites variés que les peintres de ce temps aimaient à réunir dans leurs compositions. Loin de simplifier cette nature déjà assez compliquée, Patenier semble avoir pris à tâche d’ajouter à son étrangeté par un amas de motifs hétérogènes qu’il rapproche les uns des autres sans aucune vraisemblance : la mer, des montagnes coupées à pic, des rochers isolés et inaccessibles, couronnés de villes ou d’habitations, des perspectives qui s’étendent dans tous les sens et des cours d’eau dont les sinuosités reparaissent à tous les plans. Malgré cet entassement de détails, il n’estime pas que le paysage offre assez d’intérêt en lui-même pour qu’il en fasse le sujet exclusif de ses tableaux. Il croit nécessaire d’y introduire des scènes dans lesquelles il a sans doute, plus que ses devanciers, restreint le nombre et la taille des personnages, mais qui lui fournissent cependant la donnée première et la désignation même de son œuvre. C’est la Fuite ou le Repos en Égypte, le Baptême du Christ, l’Apparition du cerf à saint Hubert, la Tentation de saint Antoine, Saint Jérôme dans le désert et d’autres épisodes que ses prédécesseurs avaient déjà traités et que, pendant longtemps encore, ses successeurs continueront à reproduire. Enfin, loin de profiter des progrès réalisés à cet égard par Van Eyck, il revient également, ainsi que l’avait fait Memling, aux erremens des maîtres primitifs, et souvent il lui arrive de juxtaposer dans une seule composition des épisodes différens se rapportant à une même légende.

Patenier, quoi qu’on en ait dit, n’est donc pas un novateur et le sens de la nature qu’il manifeste dans ses ouvrages n’atteint jamais l’éloquente sobriété ni la force expressive que Van Eyck et Memling lui avaient données. Mais il faut bien reconnaître que, mieux qu’on ne l’avait fait jusque-là, il s’est appliqué à augmenter progressivement l’importance du paysage et à réduire d’autant celle des figures, sans cependant les éliminer tout à fait. D’ailleurs, en dépit de leur excessive complication, l’aspect général de ses tableaux ne manque pas d’une certaine ampleur, à laquelle concourent la souplesse et l’habileté de son exécution, la largeur de l’effet, la vérité de la lumière. C’est par ces qualités que se distingue un de ses plus remarquables ouvrages : le Baptême du Christ, du musée de Vienne, dans lequel la transparence vigoureuse de la végétation fait valoir la légèreté des lointains dont les dégradations très délicatement rendues sont animées par les ombres-que les nuages d’un ciel lumineux promènent sur leurs vastes étendues.

Quant à l’harmonie de la couleur, Patenier s’en est à bon droit préoccupé. On peut même déjà observer chez lui, en vue de cette