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signature irrécusable « Henricus Blesius » nous est fournie par un tableau de la Pinacothèque de Munich, l’Adoration des mages (no 146 du catal.), dans lequel le paysage, d’une couleur puissante et savoureuse, n’offre cependant aucune particularité remarquable[1]. Quant à Patenier, qui passe d’ailleurs pour avoir été le maître de Bles, bien des fables ont couru sur son compte ; mais rien, dans le petit nombre de dates et de faits positifs que nous connaissons de sa vie, ne saurait justifier la réputation de désordre et d’ivrognerie que lui ont faite certains chroniqueurs. Installé de bonne heure à Anvers, il y devenait, dès 1515, membre de la gilde et, peu de temps après son mariage, acquéreur d’une maison située au bord de l’Escaut. Le 5 mai 1521, Albert Durer, qui voyageait alors dans les Pays-Bas, assistait à son second mariage. Très choyé par Patenier, dont il appréciait fort le talent, 1 faisait son portrait (aujourd’hui au musée de Weimar) et lui laissait, en outre, comme souvenir de sa visite, plusieurs dessins de petits personnages destinés à orner ses paysages. Nous savons d’ailleurs que Patenier mettait son pinceau à la disposition de ses confrères et qu’il peignit pour plusieurs d’entre eux les fonds de leurs tableaux ou de leurs portraits. Enfin une nouvelle preuve de l’estime dont il jouissait parmi eux nous est fournie par ce fait qu’après sa mort, en 1524, trois peintres d’Anvers venaient en aide à sa veuve pour le règlement de ses affaires et que Messys était du nombre. Le talent de l’artiste, le soin et la conscience qu’il apportait à l’exécution de ses œuvres, témoigneraient aussi, au besoin, contre les fâcheux propos qui ont été tenus sur lui.

La contrée où était né Patenier avait, sans doute, contribué à développer en lui le goût d’une nature un peu étrange, mais bien faite pour plaire à un paysagiste d’alors. La situation même de Dinant, au bord de la Meuse, le cours rapide de ce fleuve dominé par des rochers élevés, les vallées étroites qui débouchent non loin de là, celle de la Semois surtout, avec ses nombreux circuits, ses gorges profondes, ses ombrages frais et silencieux et les cavernes

  1. Un grand nombre d’autres ouvrages appartenant à des collections publiques sont attribués à Blés, mais sans présenter des garanties d’authenticité suffisantes. Si le beau portrait du musée de Berlin inscrit sous son nom au catalogue (no 624 mérite cette attribution, il faudrait également restituer à Bles le portrait du Louvre classé parmi les inconnus (no 607 du catalogue) et qui autrefois passait pour être celui du Garofalo peint par lui-même. Tous deux sont certainement de la même main et témoignent du réalisme puissant que leur auteur savait donner à la représentation du paysage et de la nature humaine.