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esprit curieux également attiré, comme les peintres de la renaissance italienne, par les souvenirs de l’antiquité et par l’étude de la nature. Le Jugement de Sizamnes par Cambyse et le Baptême du Christ représentent, au musée de Bruges, ces deux faces de son talent ; mais le dernier tableau mérite seul de nous arrêter, à raison de la place importante qu’y occupe le paysage. Peut-être même est-il permis de dire que l’artiste lui attribue un rôle excessif et que, loin d’ajouter ainsi au charme de sa composition, il en diminue plutôt l’intérêt. Ces arbres étudiés feuille à feuille, — des châtaigniers, des ormes, des peupliers et des érables, dont les diverses essences sont scrupuleusement accusées, — ces lierres et ces houblons qui enlacent leurs troncs, ces buissons d’épines, ces ronces et ces fougères semées dans le gazon, ces rochers taillés à arêtes vives dont les découpures se succèdent avec une déplaisante monotonie, ces eaux immobiles et comme solidifiées qui dessinent en un réseau régulier leurs remous concentriques, tous ces élémens pittoresques indiqués avec une complaisance trop évidente détournent l’attention des personnages dont les attitudes compassées sentent d’ailleurs l’effort et la pose. La lourdeur de la touche, partout également minutieuse et appuyée, et la dureté d’un coloris qui, dans sa recherche de vérité absolue, n’admet aucune des atténuations, aucun des sacrifices que réclamerait l’harmonie, contribuent à rendre plus choquante encore l’accumulation de tous ces détails. Nous ne retrouvons plus ici le choix, le goût, le sentiment de l’unité, qui, chez Van Eyck et Memling, reliaient étroitement entre eux les élémens d’une même œuvre et donnaient à leur exécution ce souffle de vie qui en fait le charme. Avec un talent très réel, David ne semble rechercher le fini que pour le fini lui-même, et l’abus de cette virtuosité un peu banale devient chez lui tout à fait importun.

Pendant qu’à l’exemple de Gérard David, quelques-uns de ses contemporains se laissent ainsi entraîner à une imitation servile de la nature, d’autres essaient de se soustraire à ces étroites préoccupations et cherchent, en dehors même de la réalité, des voies nouvelles dans le domaine du fantastique et du merveilleux. Mais tandis que l’art antique avait su personnifier par des types pleins de noblesse et de beauté les forces de la nature ou les symboles des passions les plus violentes, l’art chrétien s’était montré impuissant à leur donner une figuration vraiment esthétique. Les monstres, dont l’imagination populaire avait rempli les déserts et les solitudes des grandes forêts, Satan et les démons, que les sculpteurs du moyen âge nous montrent, aux portails de nos cathédrales, torturant les damnés ou exorcisés par les saints, sont le plus souvent des créations d’une laideur grotesque. Le parti-pris de gratifier le