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dans le tableau de Munich, chacun des panneaux de ce précieux coffret présente la réunion de plusieurs épisodes groupés dans une même composition, et le faire y est également proportionné aux dimensions restreintes dont disposait le peintre. Notons cependant, car la chose est nouvelle, le soin que celui-ci a pris d’y reproduire, toutes les fois qu’il le pouvait, l’aspect réel des contrées où se passent quelques-unes des scènes qu’il a figurées. Pour celles dont Cologne est le théâtre, la copie est d’une fidélité absolue et suppose évidemment des études faites sur place. Du quai où abordent les vaisseaux qui portent la sainte et ses compagnes, on aperçoit, telle qu’elle s’est conservée jusqu’à nos jours, l’enceinte de la vieille cité avec la Bayen-Thurm, les clochers de Saint-Cunibert et de Saint-Severin et la grue placée au haut du dôme inachevé. L’Arrivée à Bâle nous montre un même souci d’exactitude, et à côté des murs de la ville débouche un chemin qui monte vers des montagnes que dominent au loin les cimes neigeuses des Alpes. Mais s’il s’agit de représenter Rome et ses monumens, Memling se contente d’emprunter à des pays qui lui sont connus le cadre de la scène[1], et, au lieu de se livrer à de hasardeuses suppositions, il donne aux édifices sacrés le style de l’architecture romane dans la région rhénane. Sa façon d’interpréter la nature est, d’ailleurs, très personnelle, et partout il lui conserve une inaltérable sérénité. Dans le martyre des jeunes vierges et dans celui de la sainte elle-même, aussi bien que dans la Passion de la cathédrale de Lubeck, la dernière œuvre connue du maître (1491), le ciel a la même pâleur azurée et les campagnes gardent leur fraîche verdure. Aimable et tendre, Memling répugne à l’expression de sentimens violens. Au lieu d’accabler encore par les tristesses du paysage ceux que la mort entoure de ses menaces, il veut que la nature les soutienne, les réconforte dans leur détresse et que cette terre, qu’ils vont quitter, leur sourie encore une dernière fois. À ces scènes de meurtres et de désolation, on voit bien d’ailleurs qu’il préfère les sujets où il peut librement s’abandonner à la douceur de son âme. C’est avec eux aussi qu’il manifeste le mieux l’originalité de son génie. Au milieu de cette nature élyséenne, ses gracieuses figures paraissent plus suaves et plus chastes encore. Le mal ne saurait s’approcher d’elles dans ces contrées riantes où les fleurs naissent sous leurs pas, où les animaux les plus timides s’enhardissent jusqu’à venir, sans crainte, s’offrir à leurs caresses. Autour d’elles, le monde où vivent ces créatures candides fait écho à leur pureté ; elles y trouvent comme un avant-goût du séjour de paix et de lumière auquel elles sont destinées.

  1. C’est même là encore une raison pour nous de croire, contrairement à l’opinion de quelques-uns des biographes de Memling, que l’artiste n’est point allé en Italie.