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qu’on entrevoit par les fenêtres et, au-dessus, le ciel doux et limpide dans sa pâleur laiteuse, tel est bien le cadre qu’on pouvait rêver pour une pareille scène. Les bruits et les passions du monde expirent à la porte de ce paisible réduit ; et dans cette atmosphère silencieuse et pure, la grâce et la modestie de la Vierge paraissent plus touchantes encore. Ainsi conçues d’ailleurs, les deux compositions s’opposent éloquemment l’une à l’autre, comme les termes extrêmes du mystère dont elles marquent l’humble début et le glorieux accomplissement. Elles forment un tout inoubliable, et la simplicité, le calme, la blancheur sereine de l’Annonciation offrent le plus saisissant contraste avec la pompe et le magnifique éclat de l’ordonnance, avec l’animation des lignes et la richesse des couleurs dans cette Adoration de l’agneau où le ciel et la terre s’unissent en un même transport de foi et d’amour.

On le voit, dans cet ensemble grandiose tout par le à la fois à l’œil et à l’esprit, et l’on s’attarderait longtemps à y relever ces mystérieuses analogies que le spectacle du monde extérieur éveille dans une âme religieuse. Van Eyck a su les exprimer avec autant de délicatesse que d’évidence. Elles apparaissent chez lui non comme ces abstractions au moyen desquelles, trop souvent depuis lors, bien des artistes ont cherché à masquer sous la multiplicité des intentions l’insuffisance de leur talent. Les conceptions les plus hautes ont revêtu ici des formes, des couleurs et des expressions pittoresques. On se sent en présence d’un grand esprit, mais, si élevées que soient ses pensées, elles ont été traduites par un peintre ; et un amour sincère de la réalité se manifeste dans l’exécution de tous les détails qui font la vie de son œuvre. Toutes ces myriades de fleurs piquées dans l’herbe drue ont chacune leur port, leur physionomie propre et toutes concourent à l’ornement de ce fin tapis dont le vert adouci fait ressortir les rouges éclatans des costumes des personnages. La végétation exotique est étudiée avec la même conscience. Ces emprunts qu’il fait à la flore du midi, le peintre ne songe pas à les étaler avec une complaisance indiscrète pour attirer sur eux votre attention. Il n’y mêle aucune de ces bizarreries auxquelles les voyageurs et les artistes de tous les temps sont facilement enclins, comme s’ils voulaient se prévaloir de leurs lointaines excursions et des choses extraordinaires que seuls ils auraient vues. Bien qu’idéal et composé d’élémens hétérogènes, ce paysage semble vraisemblable et les grandes lignes, l’harmonie générale par lesquelles Van Eyck en a su assurer l’unité logique résultent d’une claire et vigoureuse conception de son œuvre. Son dessin est d’une vérité et d’une pénétration extrêmes. Savant sans jamais rien montrer de convenu, il tire de la réalité seule sa