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recevant des secours du bureau de bienfaisance a diminué en France depuis 1871. Il était, à cette date, de 1,608,129 individus ; il n’était plus, en 1881, que de 1,449,021. Mais l’année 1871 est un mauvais point de comparaison, cette année ayant été spécialement calamiteuse et les malheurs de la guerre ayant accru considérablement le nombre de ceux qui ont dû se faire inscrire aux bureaux de bienfaisance. Si l’on borne la comparaison aux six dernières années, on voit au contraire que la population indigente, qui avait décru de 400,000 têtes en chiffres ronds de 1871 à 1875, semble au contraire s’être accrue de nouveau, puisque de 1,247,722 en 1875, elle a passé à 1,449,021 en 1881. Mais il faut tenir compte de ce double fait : d’abord que la population de la France s’est accrue de 766,200 habitans pendant ce laps de temps, ensuite et surtout que le nombre des bureaux de bienfaisance a passé de 13,509 à 14,033, ce qui a dû augmenter nécessairement le nombre des indigens inscrits. De ces rapprochemens entre les chiffres des déposans aux caisses d’épargne et celui des indigens inscrits aux bureaux de bienfaisance, il n’y a donc pas de conclusion bien positive à tirer, puisque ces deux chiffres semblent, dans ces dernières années, s’être élevés en même temps. Le plus sage serait peut-être de dire qu’il semble y avoir dans notre pays, et l’on pourrait ajouter dans toute société complexe, un assez grand nombre, un trop grand nombre assurément, d’individus dont le gain est habituellement au-dessous des besoins et qui, vivant au jour le jour d’un salaire, pour une cause ou pour une autre, insuffisant, sont obligés d’avoir recours à la charité. Mais, à côté de ces individus dont le stock parait difficilement réductible au-dessous d’une certaine quantité, il y en a d’autres, en beaucoup plus grand nombre heureusement, dont l’aisance et aussi les habitudes d’ordre s’accroissent d’une façon ininterrompue depuis un demi-siècle, puisque, leurs besoins satisfaits (et certes ils ne sont pas, sur ce chapitre, moins exigeans que leurs pères), ils trouvent encore moyen d’opérer un prélèvement sur leur gain en vue de l’avenir. Il faut donc avoir l’esprit bien prévenu pour contester que notre siècle assiste à un lent progrès à la fois du bien-être et de la prévoyance, progrès auquel tous ne participent pas et ne participeront sans doute jamais, mais dont il est impossible cependant de fixer à l’avance la limite. J’ajoute qu’il faudrait avoir le caractère bien chagrin pour ne pas s’en réjouir.

Ceci dit, dans quelle mesure est-il permis de considérée l’épargne comme un remède et comme un préservatif contre la misère ? Pour poser la question sous une autre forme, quel est le capital qu’un homme, vivant du travail de ses bras, peut accumuler son par son en vue de se prémunir contre les conséquences de la maladie et du chômage et d’assurer le pain de sa vieillesse ? Sans doute,