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les ressources que leur offraient de semblables combinaisons. Avec une intelligence et un sens esthétique qui dénotent une merveilleuse entente de leur art, ces habiles constructeurs utilisèrent peu à peu la plupart des végétaux de nos contrées. Le lierre, le trèfle, le plantain, la fougère, l’hépatique, le chardon, la vigne, bien d’autres plantes encore, s’étalent en corbeilles dans les chapiteaux des colonnes, ou se déploient le long des frises et des bandeaux. Elles rompent ainsi l’uniformité des lignes droites qui accusent les grandes divisions des monumens gothiques, sans cependant briser la savante ordonnance et l’harmonie de leurs proportions.

À côté de ces emprunts décoratifs faits à la flore septentrionale par l’art du moyen âge, il faut encore citer, dans nos cathédrales, ces stalles fouillées en plein bois qui en garnissent les chœurs et semblent rivaliser avec les végétations les plus touffues de la nature, et ces panneaux entiers, sculptés sur la pierre de leurs parois, qui, à l’intérieur de Notre-Dame de Reims, par exemple, nous offrent groupés ensemble des feuilles d’érable, des branches de chêne avec leurs glands, des sagittaires et des géraniums des prés dont la souplesse et la grâce sont rendues avec une singulière habileté d’exécution. Enfin, bien que la sculpture semble peu propre à de semblables représentations, des scènes rustiques se trouvent aussi figurées dans ces édifices à côté d’épisodes inspirés par les livres saints. En regard des signes du zodiaque, que nous voyons sculptés aux portails de plusieurs d’entre eux, nous remarquons déjà des suites de travaux des champs placés suivant l’ordre des mois, première apparition de ces calendriers que nous aurons bientôt occasion de signaler dans les peintures des manuscrits, et qui exerceront plus tard une influence décisive sur le développement du paysage. Le soubassement d’une porte de la cathédrale d’Amiens (XIIIe siècle) nous en offre un des spécimens les plus remarquables. Ici, c’est un paysan qui, au-dessous du Bélier (mars), bêche la terre encore nue, et, près de lui, des ceps de vigne tordent leurs rameaux grêles et noueux autour des échalas qui les supportent. À côté, avec avril, la nature s’est réveillée ; les bourgeons, gonflés de sève, éclatent aux arbres voisins, et un homme, le visage épanoui, regarde en souriant un passereau qui vient de se poser sur sa main. Plus loin, toute la série des occupations champêtres se succède dans son ordre régulier, comme si l’artiste avait voulu nous montrer à la fois, dans « cette œuvre vive, » les plus simples manifestations de l’activité humaine unies aux expressions les plus élevées de la vie morale.

Mais si une large part est attribuée à la sculpture dans les édifices du moyen âge, le rôle de la peinture y semble, en revanche, assez effacé. Celle-ci demeure subordonnée à l’architecture ; elle doit faire