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et se hâtaient de rentrer en France[1]. M. de Lusignan, envoyé de France à Vienne, et qui lui aussi venait de recevoir ses passeports, rallia la petite troupe, et tous prirent ensemble le chemin de la Suisse. Malgré leur nombre, ils eurent toutes les peines du monde à gagner la frontière à travers des populations irritées et menaçantes. À Bregenz, ils coururent de véritables dangers : Villars s’en tira par son savoir-faire, mais M. de Lusignan fut arrêté avec toute sa suite et resta huit mois en prison.

Ainsi se révélait, dès le début, le caractère implacable et national de cette fatale guerre de 1689 qui, pendant neuf ans, couvrit de ruines la vallée du Rhin, et n’a marqué dans l’histoire que par le souvenir de victoires stériles et de sauvages dévastations. Pour la première fois, les populations se montraient solidaires dans la crainte et la colère ; pour la première fois, les gouvernemens étaient unis pour l’action commune contre « l’ennemi d’empire. » On a pu remarquer plus haut, dans les documens que nous avons cités, les expressions de « patrie commune, » de « nation allemande, » de « patriotisme, » mots nouveaux qui répondaient à une situation nouvelle : l’idée allemande naissait à la lueur des incendies du Palatinat ! Résultat bien inattendu de la politique de Louvois et dont notre patriotisme peut aujourd’hui douloureusement demander compte à son imprévoyance et à son aveuglement.

La guerre replaçait Villars sur son véritable terrain ; le champ de bataille lui convenait mieux que les chancelleries ; il y gagna brillamment les grades de brigadier et de lieutenant-général : la notoriété qu’il y acquit n’effaça pourtant pas complètement, dans l’esprit du roi, le souvenir de sa mission en Bavière, et quand la paix de Ryswick eut rouvert le champ des négociations, ce fut à lui que Louis XIV confia la mission de renouer avec la cour d’Autriche les relations diplomatiques. Il retourna donc à Vienne, où nous essaierons de le suivre.


Vogüe.
  1. Parmi ces officiers, je relève les noms de Spinchal, Tournon, Mercy, Lalande et celui d’un ingénieur, nommé Noblesse, que le général Sereni chercha vainement à retenir par les offres les plus brillantes. — « Ils sont fort piqués, écrivait Villars au roi, le 5 janvier, de voir qu’aucun des Français ne balance à montrer son zèle pour Votre Majesté, et j’avoue, Sire, que je serai ravi de partir avec un assez grand nombre d’officiers, honnêtes gens et qui parlent comme tels. » — Mais, parmi ces expatriés, il y en avait que le seul goût des aventures n’avait pas entraînés hors de France, et qui avaient dû quitter l’armée du roi pour des affaires plus ou moins délicates. Villars, par dépêche du 22 décembre, avait demandé au roi des instructions à leur sujet : en marge de la dépêche conservée aux archives des affaires étrangères, il y a écrit au crayon, sans doute sous la dictée du roi : « Tous ceux qui ne se sont pas battus en duel peuvent revenir. »