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de Nimègue; mais l’Europe ne croyait pas à cette modération tardive, et, il faut bien le reconnaître, de nombreuses fautes de détail semblaient justifier ses défiances. Ce n’est pas que nous songions à reprocher à Louis XIV l’extension normale du territoire français et l’annexion de l’Alsace; c’est, au contraire, à nos yeux, le mérite patriotique et l’honneur de son règne d’avoir donné à la France les frontières nécessaires à sa sécurité : la neutralité de Strasbourg était une chimère ; l’histoire impartiale dira que son indépendance était un danger pour la France ; elle relèvera les ménagemens infinis dont Louis XIV l’a entourée avant de la détruire, par un acte pacifique et nécessaire dont l’indestructible attachement des Alsaciens pour la France a démontré la légitimité. Mais ce grand acte et ce grand devoir de souverain accomplis, la prudence la plus élémentaire conseillait de ne pas en exagérer la portée, de tout faire pour persuader à l’Europe inquiète qu’il marquait le dernier terme de la conquête, de ne rien négliger pour calmer les défiances, pour regagner la sympathie des états secondaires qui composaient la clientèle de la France. Loin de suivre cette politique prudente et avisée, Louis XIV, sous l’inspiration violente de Louvois, et malgré les efforts modérateurs de Mme de Maintenon, semblait avoir pris à tâche de se créer partout des ennemis. Il n’y avait si petit état en Europe qu’il n’eût froissé, moins par désir de conquête que par esprit de domination et de prépotence : le duc de Savoie, les princes italiens, le pape, par l’occupation de Casal, par une ingérence quotidienne dans les affaires de la régence de Madame Royale, par l’injustifiable querelle des franchises, par le bombardement de Gênes ; les princes allemands et jusqu’au roi de Suède par ses prétentions sur le Palatinat, Luxembourg, le Bas-Rhin ; enfin il jetait un défi à toute l’Europe en mettant le siège, sans déclaration de guerre, devant Philipsbourg et Kaiserslautern. Il avait, il est vrai, l’intention sincère de rendre ces villes à la paix, et même d’y ajouter Fribourg démantelée; il le déclarait hautement; mais pouvait-il raisonnablement espérer que ses déclarations seraient acceptées, qu’elles suffiraient pour désarmer ses ennemis et les amener à laisser échapper les chances favorables que leur offrait l’état de l’Europe mécontente et de la France affaiblie par la persécution religieuse? Il est difficile de croire à une confiance aussi naïve. Une illusion pourtant restait à Louis XIV : celle que Villars lui avait fait partager ; il croyait à l’alliance de l’électeur de Bavière, il comptait sur Max-Emmanuel pour faire une puissante diversion au cœur même de l’empire et déconcerter la coalition qui se préparait. Aussi, à peine la prise de Belgrade eut-elle laissé l’électeur libre de rentrer dans ses états, que Louis XIV donna l’ordre à Villars de