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à ce qu’il y aille et vous pouvez l’empêcher. » — Ego: « J’ai été nommé Commissarius pour cette campagne; il m’est donc impossible de négocier dans un sens opposé. » — Ille : « L’horoscope de l’Électeur prédit des malheurs, et on aurait été satisfait, du côté de l’empereur, qu’il n’allât point à la guerre. » — Ego : « Je n’ai jamais entendu rien de semblable et je sais Son Altesse Électorale trop généreux pour croire à des superstitions astrologiques. » — Ille : « Cela est pourtant, et il n’aura tenu qu’à vous d’empêcher un malheur, s’il arrive par la suite. » — Ego: « Un serviteur ne peut jamais faillir lorsqu’il suit exactement les ordres qu’il a reçus : Dieu, qui a protégé Son Altesse Électorale pendant cinq campagnes, le protégera encore; il faut avoir confiance en sa toute-puissance. » — Elle n’ouvrit plus la bouche. Après le dîner, j’ai communiqué à l’Électeur la jolie proposition que la comtesse de Paar m’avait faite. Ille : « Il est certain qu’elle ne me verrait pas partir avec plaisir. » — Ego : « Le plus piquant est l’argument tiré de l’horoscope. » — « Ce sont des plaisanteries, » dit-il en souriant et s’en alla. L’Électeur a paru soucieux tout le temps du dîner : à ceux qui lui demandaient pourquoi, il répondait qu’il était enrhumé. On a dansé jusqu’à quatre heures. Quant à moi, je me suis retiré de bonne heure...


Le lendemain 20, Kaunitz, étant rentré en ville, fut pris d’une douleur au pied qui l’empêchait de marcher : il fit demander au grand chambellan une heure d’audience et ne reçut pas de réponse ; il se fit conduire au palais et attendit dans l’antichambre de l’électeur, qui ne l’entretint qu’à sept heures du soir...


...Je le priai, præmissis curialibus, de me dire ce qu’il avait résolu pour la campagne, afin que je pusse prévenir Sa Majesté et obtenir d’elle les ordres nécessaires. — Ille : « En ce qui touche le commando, puis-je compter sur ce que vous m’avez dit hier? » — Ego : « Sans aucun doute. » — Ille : « J’ai pourtant vu des lettres d’un ministre impérial fort accrédité qui assurent qu’il est absolument impossible de marcher sur Belgrade et de faire deux armées : il pourrait arriver que l’on fût réduit à se cantonner dans des villages entre la Save et la Drave pour empêcher l’ennemi de passer la Save ; ce n’est pas un commando digne d’un Électeur ou d’un duc de Lorraine ; on finira par réunir les deux armées et faire une autre opération. » — Ego : « Je doute que ce ministre soit mieux informé que l’empereur, qui m’a seul accrédité auprès de Votre Altesse Électorale, in hoc negotio : je ne puis m’empêcher de penser que, si Sa Majesté était informée de ces doubles négociations, elle en serait fort mécontente. La réputation de Votre Altesse Électorale est engagée : si elle a ses raisons pour ne pas faire la campagne, je n’ai rien à dire, si ce n’est qu’elle avait promis de main