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appartemens incommodes et y menait joyeuse vie. Villars eut encore l’honneur d’une chambre séparée : c’était celle qu’occupait la comtesse de Kaunitz quand son mari représentait l’empereur à Munich. Il y eut la fièvre et l’électeur vint l’y voir. Il était l’objet des attentions de tous ; il apportait dans ce centre animé de nouveaux élémens d’entrain et de gaîté ; chacun fêtait ce jeune Français, d’humeur si gaillarde, qui menait la galanterie au pas de charge, savait par cœur les meilleurs passages de Racine et de Corneille, citait les couplets des opéras à la mode, assaisonnait les belles manières de Versailles d’un sel soldatesque et gaulois qui eût choqué Saint-Simon, mais qui réussissait en Bavière.

Pendant deux mois, ce ne furent que jeux, divertissemens, chasses; on croit encore assister à ces fêtes en visitant la grande salle du pavillon de Schleissheim : la décoration des murs, faite à cette même époque, en a fixé le souvenir; on y voit Max-Emmanuel forçant le cerf ou le sanglier, enfumant le renard, volant le héron, en compagnie de seigneurs et de dames en costume Louis XIV; on pourrait se croire à Versailles on à Marly si une certaine exagération dans les ajustemens et le luxe un peu suspect des parures féminines ne trahissaient la contrefaçon ; au milieu de ces gentilshommes en perruque et en bottes à chaudron, on cherche Villars, on est tenté de le reconnaître dans un cavalier au pourpoint bleu et qui seul porte la moustache, comme les portraits d’Orondate. Dans l’intervalle des chasses, écrivait Villars, « nous rangeons les tableaux, on joue au mail, beaucoup de musique le jour et, la nuit, des comédies italiennes... L’électeur fait de grands desseins de bâtimens ici, et il ne seroit pas impossible que ce goût-là ne lui vînt. »

Villars ne se trompait pas : Max-Emmanuel qui, tout en combattant Louis XIV, cherchait à l’imiter en tout, eut aussi le goût exagéré de la construction, et c’est à Schleissheim qu’il entreprit son œuvre principale. En 1701, il commença la construction d’un palais colossal, entouré de parterres aux eaux jaillissantes, et ne put l’achever. Demeure hors de proportion avec sa destinée, comme les ambitions de l’électeur étaient hors de proportion avec ses facultés, et qui resta inachevée comme l’édifice politique que son fondateur avait voulu élever.

Tout en prenant largement sa part de cette vie de plaisirs, Villars n’oubliait pas sa mission et, sans la laisser deviner, il en remplissait les devoirs. Les occasions d’aborder l’électeur ne lui manquaient pas : il ne les laissait pas échapper, et leurs conversations intimes, sans caractère officiel, eurent bientôt touché à toutes les secrètes ambitions du prince, à tous les points délicats de la politique générale. Villars exprimait le chagrin qu’éprouvait la dauphine de voir son frère sans liaisons avec la France. Max-Emmanuel