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plus d’un point de contact : tous deux avaient l’amour de la gloire et du bruit, la passion du combat et des plaisirs faciles, le désir d’arriver sans regarder de trop près au choix des moyens ; mais là s’arrêtait la ressemblance : chez Villars, l’enivrement de la charge ne faisait pas oublier les devoirs du commandement; la hâblerie gasconne et la hardiesse du langage couvraient souvent les desseins étudiés d’un esprit calculé; l’ivresse des plaisirs mondains n’obscurcissait pas la vue claire des intérêts et n’était rien à l’activité d’une volonté laborieuse et d’un corps infatigable. Villars eut bientôt compris les ambitions de Max-Emmanuel et appris que, si la comtesse de Kaunitz avait conservé son empire, elle avait perdu de ses attraits, et qu’une des filles d’honneur de l’impératrice, Mlle de Welen, la remplaçait dans les pensées de l’électeur; tout en s’apprêtant à tirer parti de ce changement d’inclination, il entra dans les vues ambitieuses de l’électeur et lui insinua discrètement que la France pouvait leur donner toute satisfaction; il crut s’apercevoir qu’il était écouté avec intérêt et s’empressa d’en informer le roi. Louis XIV se montra très satisfait des débuts du diplomate improvisé ; il l’autorisa à suivre Max-Emmanuel sans caractère officiel, « sous le seul prétexte du plaisir qu’il trouvait à faire sa cour à ce prince, » et lui recommanda de pénétrer de plus en plus dans sa confiance.

Villars était au comble de ses vœux ; il se hâta de se mettre en règle avec la cour d’Autriche, prit son audience de congé, reçut de l’empereur la tabatière traditionnelle[1] et partit pour Munich, où l’électeur l’avait précédé le 24 mars. Il y arriva le 16 avril.

Max-Emmanuel, nous l’avons déjà dit, s’ennuyait dans ses états : son éducation italienne et française l’avait mal préparé à se plaire dans un pays encore tout imprégné de rudesse germanique et à peine remis des épreuves de la guerre de trente ans. Munich n’était pas alors ce que l’ont faite plusieurs générations de souverains cultivés et artistes. C’était une ville de briques et de bois, dont les aspects pittoresques, intéressans pour nos esprits curieux, étaient sans charme pour les novateurs du XVIIe siècle, qu’attiraient les élégances de Versailles : peu de sculptures, peu ou point de ces hardiesses de pierre qui rachètent à Heidelberg les exagérations de la renaissance allemande ; la plupart des maisons étaient peintes, quelquefois avec un grand bonheur d’invention ; il y avait là de curieuses pages où les figures allégoriques, les attributs professionnels, les banderoles à inscriptions se groupaient dans des compositions vivantes et colorées,

  1. « En sortant de la chambre de l’empereur, le prince de Dietrichstein, grand chambellan, m’a donné de sa part une boîte de portraits garnie de diamans un peu plus belle qu’à l’ordinaire. » (Villars au roi, 3 avril 1687.)