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comme si la fortune de la France était inépuisable, et dans cette voie, les ministères, au lieu de modérer les ardeurs dépensières d’une majorité imprévoyante, se sont prêtés à toutes les fantaisies, un peu par complaisance, un peu dans un intérêt commun de popularité. Assurément, une nation puissante et industrieuse comme la France peut se permettre une certaine libéralité dans l’administration de sa fortune. Elle peut donner sans parcimonie, construire des chemins de fer, réparer ou agrandir ses ports, multiplier ses écoles, doter son enseignement et ses arts, élever des monumens, améliorer la position de ses serviteurs ; elle est tenue surtout de ne rien négliger pour son armée, pour la défense de son intégrité. Une nation comme la France peut faire de ces dépenses généreuses et fécondes ; mais là, comme en tout, la question est dans la manière d’accomplir ces œuvres utiles, dans la mesure où l’on engage les ressources publiques, dans le choix du moment et des moyens, souvent aussi dans les circonstances. Il est bien évident qu’en voulant tout faire à la fois, sans écouter les plus simples conseils de prudence, en forçant tous les ressorts de la fortune nationale, en prétendant, par une combinaison bizarre, dégrever pour se populariser et emprunter pour répandre les subventions, on s’exposait à de prochains et inévitables mécomptes ; on allait tout droit à ce qui est arrivé, à une crise qui n’est point irrémédiable sans doute, qui n’est pas du moins sans danger. C’est justement Ce qu’ont montré, en traits saisissans, et M. Germain, au Palais-Bourbon, et M. Blavier, M. Chesnelong, M. Pouyer-Quertier, au Luxembourg, en refaisant une fois de plus, pour le pays qui écoute et qui paie, ce triste et cruel bilan des déficits accumulés, des abus de crédit, des dépenses démesurées, des expédions ruineux. On peut sans doute s’étudier à pallier une situation compromise, essayer de tout expliquer, équivoquer avec les chiffres. Ce qu’on ne peut déguiser, c’est ce fait frappant et inexorable.

Lorsque le pays, à peine sorti d’une effroyable guerre, se trouvait tout à coup en face d’immenses ruines à réparer et d’une colossale rançon à payer, il ne désespérait pas de lui-même ; il se montrait prêt à tous les efforts, à tous les sacrifices, et, à la faveur de ce généreux esprit, un gouvernement aussi prudent que bien inspiré ne tardait pas à refaire une situation financière toute nouvelle. Il avait réussi en peu de temps à délivrer les provinces françaises de l’occupation étrangère, à commencer la reconstitution du matériel de guerre disparu dans les désastres, à remettre en mouvement tous les services, à relever le crédit par l’ordre. Le pas restait sans doute sous le poids de lourdes charges, d’impôts aggravés, d’une dette fatalement accrue ; mais toutes ces dépenses de la guerre se trouvaient liquidées. On rentrait dans les conditions d’un régime régulier ; le budget, largement doté était en plein équilibre, tout était clair. Encore une fois, la France,