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par la réception récente des représentans du Céleste-Empire à l’Elysée. Nous avons le Tonkin, nous serons à Lang-son quand nous le voudrons, nous sommes à Hué et dans le Cambodge. Tout cela est à nous. Soit ! c’est fini, — à la condition toutefois de conquérir ce qu’on nous a cédé, de batailler sans fin avec des bandes toujours en armes, d’avoir pendant longtemps dans la vallée du Fleuve-Rouge un corps d’occupation de trente mille hommes et d’ajouter aux 4 ou 500 millions que nous a déjà coûtés cette conquête tout ce qu’il faudra dépenser encore. C’est ce qu’on appelle une fin !

Aujourd’hui il ne s’agit plus de Tunis ou du Tonkin, il s’agit de cette expédition de Madagascar pour laquelle on vient de demander un crédit de 12 millions et qui a été justement l’occasion de cette discussion où M. Jules Ferry a déployé son programme d’extension universelle et indéfinie. Il y a deux ou trois ans déjà qu’on tourne autour de cette grande île de Madagascar, sans pouvoir y pénétrer sérieusement, sans se retirer et sans se décider à une campagne à fond : que va-t-on faire ? Les uns sont assez portés à demander qu’on en finisse, qu’on se borne à garder quelques points des côtes, à s’assurer des comptoirs de commerce en traitant au besoin avec les Hovas maîtres de l’intérieur ; les autres, et c’est évidemment le dernier mot du discours de M. Jules Ferry, ne reculeraient pas devant la conquête de l’ile tout entière, devant une marche dans l’intérieur, sur Tananarive, pour donner à la France cette belle possession. Entre ces deux opinions le gouvernement, représenté par M. le ministre des affaires étrangères et hier encore par M. le président du conseil, ne se compromet pas, il faut l’avouer. Il veut et il ne veut pas ; il n’est ni pour la politique d’abandon ni pour la politique d’aventure ; il ne se livre pas aux « théories ambitieuses, » mais il entend sauvegarder « l’honneur, les droits et les intérêts de la France. » Ce n’est pas une solution, on le voit bien : c’est un expédient de réserve et d’expectative qui laisse tout en suspens jusqu’à la décision d’une chambre nouvelle et qui, en maintenant la France sous les armes, reste toujours coûteux sans compensation. Au demeurant, le crédit de 12 millions pour Madagascar est voté, et on n’est pas plus avancé : de sorte que ce système qui a été suivi depuis quelques années par le gouvernement et par une majorité républicaine laisse le pays en face des conséquences de toute une série d’entreprises, de complications toujours possibles et de dépenses inévitables. Il n’y a point, on en conviendra, de quoi être trop rassuré.

Ce qui est vrai de la politique coloniale telle qu’elle a été comprise et pratiquée depuis quelques années, ne l’est pas moins pour les finances, qui viennent d’être une fois de plus l’objet des plus sérieuses, des plus instructives discussions au sénat comme dans la chambre des députés. Ici encore on s’est payé de mots, d’illusions et de faux calculs. On a cédé à une sorte d’émulation de prodigalité,