Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/716

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsqu’on dispute sans cesse sur cette politique coloniale qui se résume pour nous depuis quelques années dans trois questions principales : Tunis, le Tonkin et Madagascar, on se laisse aller, en vérité, à d’étranges confusions. On couvre d’un grand nom et de grands mots les plus médiocres combinaisons, les plus tristes expédiens de conduite, comme vient de le faire, une fois de plus, M. Jules Ferry dans le dernier discours par lequel il a cru relever son drapeau à la veille des élections. Qu’une nation comme la France ne doive pas se désintéresser des affaires du monde, même dans les mers lointaines, qu’elle ait pour son commerce, pour sa marine, pour son influence, des stations, des possessions choisies avec soin, la question n’est pas là, et l’ancien président du conseil s’est livré inutilement à des amplificalions plus retentissantes que sérieuses. La vraie question est dans la manière de suivre cette politique dans la mesure où l’on engage l’aclion de la France, dans l’usage qu’on fait de ses forces et de ses ressources.

Tunis était certes un poste utile à occuper ; c’était même le point le plus immédiatement nécessaire et avantageux pour la France dans l’intérêt de son empire algérien et de sa sécurité sur cette partie des côtes méditerranéennes. Qu’est-il arrivé cependant ? On s’en souvient encore, cette affaire a été engagée et conduite au début d’une façon si étrange, si décousue, si incohérente, qu’elle aurait pu échouer ; il a fallu une sorte de force des choses et peut-être aussi un certain ensemble de circonstances diplomatiques favorables pour que tout finît par un dénoûment plus heureux que mérité par la prudence et l’habileté de nos combinaisons. — Le Tonkin était assurément une question plus délicate et plus contestable ; c’était un luxe ou une fantaisie. Admettons cependant qu’on pût céder à la tentation du Tonkin, de l’empire de l’Indo-Chine, avec l’Annam, la Cochinchine, le Cambodge. Dans tous les cas, la première condition était de savoir ce qu’on faisait, de proportionner ses moyens d’action au but qu’on se proposait, de mesurer les difficultés et les avantages ; la plus simple sagesse aussi conseillait d’écouter ceux qui savaient ce que nos ministres ignoraient, ceux qui avaient eu l’occasion de traiter avec la Chine et qui connaissaient les obstacles, les résistances que nous pouvions rencontrer. Au lieu d’agir ainsi, on peut dire que nos ministères se sont jetés dans cette entreprise comme dans une aventure, sans se demander où ils allaient, qu’ils ont conquis le Tonkin sans le vouloir ou sans l’avouer, subissant la fatalité des incidens, engageant jour par jour le pays et le parlement sans leur dire la vérité, dépensant les vies humaines et les millions en détail et par subterfuge, pour finir par une véritable guerre avec la Chine, qu’on a toujours niée même en la faisant. Est-ce là sérieusement une politique ? — Tout cela est terminé, dira-t-on ; la paix est faite avec la Chine et les rapports sont renoués