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volumes, lui écrivait à ce propos un grand romancier, Thackeray, l’illustre auteur d’Henry Esmond, et j’aime surtout vos continuations. Je n’ai pas passé un mot de Monte-Cristo, et j’éprouvai un vrai bonheur, lors qu’après avoir lu les douze volumes des Trois Mousquetaires, je vis M. Rolandi, l’honnête libraire qui me loue des livres, m’en apporter douze autres sous le titre de Vingt Ans après. Puissiez-vous faire vivre jusqu’à cent vingt ans Athos, Porthos et Aramis, afin de nous gratifier de douze volumes encore de leurs aventures! » Et, comme sans doute il craignait que le naïf orgueil de Dumas ne prît la raillerie pour un éloge, il se donnait le plaisir d’ajouter: « Et maintenant pourquoi ne vous empareriez pas aussi des héros des autres? Ne pensez-vous pas qu’il est plus d’un roman de Walter Scott que ce romancier a laissé incomplet?.. Personne ne me fera croire que les évènemens de la vie de Quentin Durward se soient terminés le jour où il épousa Isabelle de Croye. Les gens survivent au mariage, il me semble... Le dénoûment d’Ivanhoe ne me satisfait pas davantage, et je suis certain que l’histoire ne peut finir où elle s’arrête. » En effet, et peut-être est-ce là le secret de ses nombreuses collaborations, toute l’invention de Dumas n’allait qu’à reprendre, allonger surtout, épuiser les inventions des autres. Entre ses mains, la nouvelle devenait roman, le roman engendrait un cycle; de ce cycle on tirait un, deux, trois, quatre drames : heureux encore quand on ne racontait pas l’histoire de ces drames à leur tour! et on recommençait quand on avait Uni. C’est le mépris même de la littérature érigé en loi de la littérature, et l’homme qui le professa, non seulement ne fut pas un grand romancier, il ne fut même pas un artiste.

Il est resté cependant populaire, et le monde entier connaît son nom. Pourquoi cela ? Sans doute pour une ou deux des raisons que nous avons dites, parce qu’il y avait entre la nature de son talent et celle de l’imagination populaire des affinités électives, mais surtout parce que personne comme lui ne posséda l’art de se faire bruyamment valoir.il n’a pas inventé la « réclame, » mais il en eût été digne; et si son imagination fut féconde, c’est en hâbleries colossales. Parcourez quelques-unes des Préfaces qu’il a mises à ses drames: « Catherine Howard est un drame d’imagination procréé par ma fantaisie ; Henri VIII n’a été qu’un clou auquel j’ai attaché mon tableau. Je me suis décidé à agir ainsi parce qu’il m’a semblé qu’il était permis à l’homme qui avait fait du drame d’exception avec Antony, du drame de généralité avec Teresa, du drame politique avec Richard Darlington, du drame d’imagination avec la Tour de Nesle, du drame de circonstance avec Napoléon, du drame de mœurs avec Angèle, enfin du drame historique avec Henri III, Christine et Charles VII, de faire du drame extrahistorique avec Catherine Howard; c’est un nouveau sentier que j’ai