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— Vraiment?.. L’esprit reprendrait un corps terrestre comme le nôtre ? s’écrie miss Ludington éperdue.

— Ce ne sont que des suppositions; mais je me figure que l’esprit dépouillé de ses qualités surnaturelles rentrerait dans ce monde sans autre souvenirs que ceux qu’il possédait au moment où jadis il l’a quitté.

— Après ce que j’ai vu ce soir rien ne me paraît impossible, fait observer miss Ludington.

Et, en effet, rien n’est impossible, la bonne volonté de Mrs Legrand et du docteur Hull aidant. Paul retournera seul dans la maison mystérieuse, son Ida lui accordera une nouvelle entrevue. Il insistera, il suppliera si bien que Mrs Legrand, très malade ce jour-là, promettra de l’évoquer encore. Miss Ludington sera présente, elle craint que l’inappréciable médium ne leur manque bientôt et, avec elle, ce qui est déjà devenu la joie de deux cœurs, la possibilité de rencontrer Ida, car son portrait ne suffit plus, ni à elle ni à lui, à lui surtout. Il est froid et décoloré, ce portrait, à peine leur paraît-il ressemblant. L’esprit a éclipsé pour toujours cette médiocre image.

Heureusement Ida revient dans une troisième séance, plus lentement cette fois, mais pour s’évanouir moins vite. Attirée d’abord comme par un aimant vers Paul qui la dévore des yeux, elle s’arrête. Soudain, un changement inexplicable se produit dans sa physionomie, un léger frisson agite ses membres, elle semble stupéfaite, promène autour d’elle des yeux de somnambule éveillée en sursaut. Après un premier mouvement vers le cabinet d’où elle a surgi, elle demeure indécise comme si le fil qui devait l’y ramener était rompu. En même temps un cri étouffé retentit dans le cabinet. Le docteur Hull s’élance, miss Ludington et Paul le suivent. Mrs Legrand gît immobile, l’écume aux lèvres. Elle est morte,.. et, telle que Galatée répondant à l’appel de Pygmalion, plus belle qu’Eve naissante, Ida, la véritable Ida, en chair et en os, reste au milieu du salon brillamment éclairé, une main sur ses yeux éblouis.

— Où suis-je?.. demanda-t-elle dans un premier soupir.

Jusque-là le récit est mené sans faiblesse. Le tort de M. Bellamy est peut-être, à la fin, d’avoir trop précisé, trop expliqué, de n’avoir pas laissé subsister ce vague où Mérimée plonge si adroitement les lecteurs de la Vénus d’Ille et de Lokis, des modèles, la Vénus d’Ille surtout, dans un genre difficile qui entremêle étroitement le fantastique et la réalité.

Ida est emmenée, cela va sans dire, chez l’excellente folle, qui veut désormais être nommée sa sœur, ne sachant par quel degré