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pardonnera pas à Mrs Varick ; son discernement est taxé d’insolence, elle aura contre elle tous ceux qu’elle croit devoir exclure et une bonne partie de ceux qu’elle invite. Les premiers crient à l’outrage, les seconds, par esprit de corps, soutiennent leurs confrères. Le tableau satirique de la première soirée est, comme on dirait en argot moderne, le clou auquel s’accroche l’intérêt du livre, la partie la plus vive et la plus piquante, bien qu’il nous semble tourner à la caricature. M. Fawcett a le rare talent de mettre en scène, auprès des acteurs principaux, un grand nombre de comparses qui se meuvent avec aisance et dont on n’oublie plus la physionomie bien marquée. Nous ne savons si les silhouettes de personnages littéraires qu’il pose malicieusement en deux traits sont ressemblantes ou chargées; nous inclinerions à croire qu’il a exagéré les couleurs, notre expérience personnelle ne nous ayant fait connaître rien de semblable à ces conférencières ridicules, à ces bas-bleus affamés, à ces poètes qui, abrutis par le tabac, ou exaspérés par les stimulans, cherchent à imiter Victor Hugo. Théophile Gautier, Baudelaire, quand ils ne s’attachent pas aux traces de Keats, à moins qu’ils ne rêvent de fonder une poésie purement américaine. Tous, qu’ils aient du talent ou qu’ils n’aient que des prétentions, sont aussi mal élevés les uns que les autres et feraient mille bassesses pour entrer dans la seule société qui existe en somme à New-York, celle qui représente l’aristocratie. Mrs Varick s’en aperçoit avec dégoût; ses hôtes lui font l’effet de vanités monstrueuses greffées sur les plus mauvaises manières ; ils ne savent même pas causer, car l’effort continuel d’atteindre en écrivant à l’originalité de l’expression, d’éviter le lieu-commun, a tué chez eux toute spontanéité, tout naturel. Le salon qui devait être l’orgueil et l’intérêt de sa vie n’aura vécu qu’un soir, un soir de supplice, mais cette tentative avortée entraînera pour elle de longs ennuis.

Une espèce de virago, un reporter femelle, du nom de miss Cragge, furieuse de n’avoir pas été invitée, publie dans quelque journal de bas étage une de ces diffamations qui sont en Amérique l’un des fruits de la liberté absolue de la presse. Sous une rubrique transparente, les amours de Pauline et de Kindelon sont raillés de la façon la plus venimeuse, avec de perfides allusions au passé de la jeune veuve. Cette bombe éclate à l’heure où Pauline est décidée à rompre avec le dan intraitable des Poughkeepsie, auquel sa naissance la rattache, à s’encanailler une fois pour toutes en épousant son journaliste, dont elle a encouragé, provoqué même la demande comme une reine ferait pour le sujet qu’elle autorise à monter jusqu’à elle. L’hifàme et calomnieux article la révolte naturellement, mais il a pour premier effet de précipiter le mariage : Kindelon saura défendre sa femme !