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UN DÉPARTEMENT FRANÇAIS.

vitie précoce révèle sa puissance intellectuelle. Les partis recherchent avec empressement sa clientèle ; de là cet air d’importance qu’on lit dans son triple menton. Il les attend chez lui, se fait longtemps prier, et joue volontiers le rôle du sphinx. Le préfet fonde de sérieuses espérances sur une note exorbitante qu’il a payée sans sourciller le jour de la revision. Le candidat de l’opposition a des promesses. Notre homme serait bien sot de se prononcer avant l’heure. Ses hésitations lui font des rentes. Hélas! tout empire est caduc, et celui-là, comme celui d’Alexandre, s’affaiblit par les partages. Depuis qu’une loi imprudente a supprimé le contrôle administratif, les débits sortent de terre. En face même de l’auberge, se dresse la concurrence d’un méchant aventurier, sans ramification dans le pays. C’est le rendez-vous de tous les mauvais garnemens, le quartier général des radicaux. On y chante, on y boit une partie de la nuit, et l’écho de l’orgie trouble les rêves paisibles de l’hôtelier. Dans les bourgs populeux, cette honnête industrie se subdivise encore plus. Toute une engeance de petits cabaretiers avides et chétifs, serviteurs dociles des ivrognes, s’en va claudicant, vociférant, glapissant. Ils sont hargneux ou serviles, plaintifs ou mauvais coucheurs, et violons de langage parce qu’ils n’ont point de consistance. Ils poursuivent de futiles doléances les candidats qui ont la bonté de les prendre au sérieux. Afin de jouer un rôle, ils forcent la note du pays. Ce sont eux qui inventent les programmes téméraires et qui les propagent. C’est leur figure de roquets affamés, c’est leur trogne impudente qui passe devant les yeux du député au moment où il vote. On dirait une meute lâchée pour aboyer après les consciences et les pousser hors du droit chemin. Tristes organes de l’opinion publique ! — Mes électeurs l’ont voulu, dit un honorable. — Non pas eux, mais une vingtaine de braillards déconsidérés, qu’on mettra demain en faillite. C’est confondre le contenu avec le contenant, l’auberge avec l’aubergiste. Il faut aux électeurs un lieu pour se réunir. Mais ce pied-plat, qui empoche leur argent, ne gouverne point nécessairement leurs âmes.

Toutes ces petites influences de clocher montent ou descendent, suivant l’offre et la demande des idées générales. Quand celles-ci sont rares, on n’est point difficile sur la qualité. On va en prendre chez l’unique commerçant du village, qui débite sa maigre provision de philosophie, avec son poivre et sa toile imprimée, jusqu’au jour où les émissaires des grandes villes font pénétrer dans les campagnes un produit supérieur. Malheureusement, les figures triviales sont les premières qu’on aperçoit. Ces borgnes parmi les aveugles ont quelque loisir, une demi-instruction. Les cultivateurs s’en servent tout en les méprisant; et les gens du dehors.