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doctrine ésotérique, dont l’Inde nous offre des traces à tous les âges et dont on trouve les premiers germes dans les Védas, doctrine qui eut toujours des adeptes aussi bien parmi les ascètes et les Richis que parmi les brahmanes très avancés, mais qu’on cachait sous le voile du mystère. Le brahmanisme, du temps de Bouddha, était tombé en décadence. Inflexible et dur vis-à-vis des castes inférieures, il inclinait dans sa conception de la vie et de son au-delà vers un matérialisme grossier. Çâkya-Mouni, mû par un grand sentiment d’humanité, résolut de mettre fin à cet état de choses. Il passa par tous les degrés de l’initiation ascétique. Une fois parvenu par ses méditations et ses épreuves aux vérités supérieures qu’il cherchait, il donna à la doctrine ésotérique, qui était restée jusque-là purement intuitive et personnelle, une forme plus générale, plus raisonnée, plus incisive dans le sens du renoncement et de la spiritualité. Armé de cette doctrine, il se proposa deux buts : d’abord l’organisation hiérarchique de l’adeptat ascétique, qui avant lui était resté libre et individuel. Il le rendit plus sévère, l’entoura de barrières presque infranchissables. La seconde grande pensée du Bouddha fut la diffusion dans toutes les castes de la doctrine sous une forme relativement populaire. Il atteignit le premier but par la fondation et l’organisation des ordres religieux dont nous ne connaissons que l’extérieur, mais non les articles ésotériques et la direction secrète. Il atteignit le second par l’enseignement populaire de sa doctrine. De là cette grande révolution religieuse qui força le brahmanisme lui-même à se transformer, fit rayonner la pensée indoue à travers toute l’Asie et alla répandre des germes imperceptibles mais féconds de vie spirituelle jusqu’en Judée et en Grèce.

Nous n’entrerons pas ici dans l’examen de la métaphysique du Bouddha ; bornons-nous aux réflexions essentielles. — Quelle a été l’attitude intime du Bouddha devant le sphinx de la destinée ? Quelle fut sa réponse à la grande énigme ? — Nous nous trouvons aujourd’hui en présence de deux Bouddhas fort divers et au fond contradictoires. Le premier est celui que la science occidentale nous a présenté jusqu’à présent. C’est un Bouddha pris à la lettre et vu par le dehors, commenté et compris par des philologues et des mythologues plutôt que par des penseurs et des philosophes. Notre légende scolastique en a fait un pessimiste radical à la façon de Schopenhauer. Son trait essentiel aurait été l’horreur de la vie et la soif du néant. Ayant désespéré de tout autre moyen de salut, il aurait aspiré à l’inconscience, au néant final pour lui et ses semblables et aurait imaginé pour y parvenir son système subtil de la suppression de tous les effets par la suppression de la cause pre-