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LA LÉGENDE DU BOUDDHA.

il faut qu’il te soit donné dans une maison où ni père, ni mère, ni enfant, ni serviteurs ne soient morts. » Elle alla mendier partout le grain de moutarde avec son enfant endormi dans les bras. Personne ne lui refusa le grain, mais partout quelqu’un était mort. Ici c’était un père, là un frère, là une fille. La femme revint auprès du Bouddha. « — Maître, dit-elle, mon enfant ne veut plus ni boire ni sourire. Je l’ai laissé parmi les vignes près du fleuve pour chercher ta face et baiser tes pieds et te demander où je pourrais trouver ce grain sans trouver la mort. Ils me disent que mon enfant est mort et j’ai peur que ce ne soit vrai. — Ma sœur ! dit le Bouddha, tu vois que le vaste monde pleure de ton mal. Le chagrin partagé par tous les cœurs devient moindre pour un seul. Je donnerais tout mon sang si cela pouvait arrêter tes larmes, mais dans cette vie le doux amour fait notre angoisse. Un jour tu comprendras ce secret. Va en paix et ensevelis ton enfant. »

Bientôt le Bouddha eut des disciples par centaines, des auditeurs par milliers. Car il appelait le peuple à ses prédications, et le peuple l’aimait ; car il ne faisait pas de différence entre les castes comme les brahmanes et disait que sa loi était une loi de grâce pour tous. Un jour, il demanda à boire à une femme en haillons. Elle lui dit tristement : « — Maître, je suis une Tchândala (de la dernière classe des parias). — Je ne te demande pas à quelle caste tu appartiens, dit le Bouddha, je te demande à boire parce que j’ai soif. » Elle lui tendit sa cruche. Après avoir bu, il reprit : « — Pauvre créature, tu as étanché la soif de mon corps, j’étancherai celle de ton âme. Viens avec moi. » Et l’ayant menée vers ses disciples, il lui donna des habits neufs et la fit instruire. Cette mansuétude ravissait la foule et irritait les brahmanes, qu’il ne craignait pas d’appeler des hypocrites, des charlatans et des jongleurs. Les plus puissans d’entre eux auraient voulu faire tuer le Bouddha, mais ils n’osaient, car les richis sont sacrés pour les Indous. Dans leur pays, la gloire de l’ascétisme est une auréole qui protège mieux qu’une armure ; c’est une royauté. Cependant les brahmanes lui tendirent toutes sortes d’embûches, mais ils ne purent l’y faire tomber. Ils le convoquèrent en discussion dans une assemblée publique en présence du roi Prasênadjit. Ils discutèrent pendant huit jours et chaque jour le Bouddha les convainquit davantage par la douceur de son être et le feu de son éloquence. Le roi accorda la victoire au Bouddha et se convertit avec tous les siens.

Le Bouddha prêchait aussi la bonté envers les bêtes. Il ordonnait à ses disciples de n’en jamais tuer et de se nourrir des fruits de la terre. Il s’opposait surtout aux sacrifices d’animaux que les brahmanes faisaient aux dieux. Un jour il entra dans un temple où l’on allait égorger un agneau pour le brûler ensuite. « Arrêtez ! s’écria-