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LA LÉGENDE DU BOUDDHA.

saient les hymnes et les charmes, tous les chemins de vertu et de paix. Ainsi je pense que le bien doit venir du bien et le mal du mal. Et quand nous devrons mourir n’y aura-t-il pas un alors comme il y a un maintenant ? Peut-être meilleur, comme d’un grain de riz jaillit une tige à cinq étoiles. Si mon époux mourait, je monterais sur son bûcher. Car il est écrit que lorsque une femme indienne meurt ainsi, elle donnera à l’âme de son époux pour chaque cheveu de sa tête cent ans de bonheur. C’est pourquoi je n’ai pas peur, et c’est pourquoi ma vie est heureuse. Mais je n’oublie pas les autres vies remplies de peines et misérables. Que les dieux en aient pitié ! Pour moi, le bien que je comprends, humblement je cherche à le faire et j’obéis à la loi, confiante que ce qui doit venir viendra et viendra bien. »

Çâkya-Mouni lui répondit : « Ô femme ! tu enseignes celui qui enseigne, plus sage que la sagesse dans ta simple croyance. Sois contente de ne pas en savoir davantage, puisque tu suis le chemin du bien et du devoir. Grandis, ô fleur ! avec ton doux enfant dans ton ombre paisible. La lumière du grand midi de la vérité n’est pas faite pour les feuilles tendres qui s’élargiront sous d’autres soleils et lèveront dans d’autres vies leurs têtes couronnées vers le ciel. Tu m’as adoré, et c’est moi qui t’adore, cœur excellent ! instruit sans savoir, comme la colombe qui par amour regagne son nid. En toi on peut voir pourquoi il y a de l’espérance pour l’homme et comment on peut arrêter à volonté la roue de la vie. La paix soit avec toi et conforte tous tes jours. De même que tu accomplis ta tâche, puissé-je accomplir la mienne ! Celui que tu prenais pour un dieu te prie de lui souhaiter cela.

« Puisses-tu l’accomplir ! » dit-elle, en reprenant dans ses bras l’enfant qui étendait ses petites mains vers les beaux yeux du sage. Alors Çâkya-Mouni, fortifié par la nourriture qu’il avait prise, se dirigea vers un lieu où la vérité devait descendre dans son âme.


Çâkya-Mouni se retira dans une partie plus profonde encore et plus solitaire de la forêt d’Ourouvilva, ignorée même de ses disciples les plus fidèles et où personne ne pouvait le troubler. C’était un monticule qui dominait le bois sauvage. Là, il voyait le soleil se lever sur l’océan des verdures et se coucher dans l’épaisseur des jungles. Les bêtes fauves qui erraient autour du monticule, mais n’osaient attaquer le richi, le défendaient contre l’approche des hommes. Ne conversant qu’avec les vents, les aurores et les astres, il pouvait descendre jusqu’au fond de lui-même. Un jour qu’il méditait sous un grand figuier, il se dit : « La mort vient de la vie, la vie de la naissance, et la naissance du désir. Si l’homme parvenait à supprimer le désir des sens, il s’élèverait au-dessus de toutes les vicissitudes dans la région de l’esprit pur où il n’y a plus ni mort