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LA LÉGENDE DU BOUDDHA.

qu’il recherche est encore celui des sens et son dieu est un dieu de chair. Il n’élève l’homme qu’un instant au-dessus de la vie et le reprécipite dans le tourbillon des douleurs. Je cherche le repos suprême, la demeure inchangeable, la victoire sur le temps et sur l’espace. »

N’ayant pas trouvé ce qu’il cherchait chez les brahmanes, il résolut de se vouer à la solitude et à l’ascétisme. Il se retira sur le mont Pandava, dans le pays de Magadha et s’établit dans une caverne surplombée de figuiers sauvages, couchant sur l’herbe, s’exposant au froid de la nuit et à la rosée du matin, vivant de la maigre pitance que lui apportaient de pauvres paysans. La nuit, il entendait le cri du chacal et du tigre ; il songeait alors aux passions humaines et aux moyens de les faire taire. Quand de la plate-forme de la colline il voyait la terre endormie et sombre, sa pensée embrassait tous les êtres vivans d’une ardente sollicitude et d’une méditation intense, alors qu’eux-mêmes avaient oublié leurs soucis. Quelquefois il méditait ainsi jusqu’au moment où l’aurore se levait dans sa robe de flammes, couleur de safran et d’améthyste. Alors, s’inclinant devant l’orbe renaissant et faisant ses ablutions à la manière des richis, il demandait à l’Être des êtres la lumière intérieure. Mais il n’arrivait à aucune conclusion.

Un jour, à mi-chemin de la ville, il rencontra plusieurs fakirs, qui s’étaient infligé les plus horribles tortures : l’un avait le bras desséché et complètement raidi à force de le tenir immobile, l’autre un fer passé à travers le flanc, le troisième la peau brûlée et les yeux aveuglés par le soleil. Ces infortunés croyaient faire vivre l’esprit en mutilant le corps. Çâkya-Mouni les vit avec peine et leur dit : « Mes frères, répondez-moi, je suis celui qui cherche la vérité. Pourquoi aux maux de la vie en ajoutez-vous d’autres ? » Ils répondirent : « C’est pour que notre âme atteigne des sphères glorieuses et une splendeur qui passe toute pensée. Nous prenons ces peines pour devenir dieux. — Alors, délivrés de vos corps, serez-vous éternellement heureux ? — Non ; seul le grand Brahma dure toujours. Nous devons changer encore et recommencer la vie. — Alors pourquoi détruisez-vous vos corps pour des joies qui doivent passer à leur tour et ne sont que des rêves ? — Si tu sais un meilleur chemin, dis-le ; sinon, la paix soit avec toi ! » Là-dessus, Çâkya-Mouni s’en alla tristement et pensa en lui-même : « Les hommes désirent vivre et n’osent pas aimer la vie, mais se torturent avec des tourmens féroces. Ils tuent leurs corps et ne savent pas faire taire leur désir. Non ; cet ascétisme insensé n’est pas la voie du salut. Il faut que je la cherche dans une nouvelle retraite, par la sobriété et par une méditation plus intense. »

Dans l’Inde contemporaine, lorsqu’un homme quitte le monde